La Maîtrise Sainte-Philomène de Haguenau, Prix Liliane Bettencourt pour le chant choral 2023
Nicolas Wittner, qu'est-ce qui vous a mené dans ce monde des maîtrises, qui forment les jeunes à la pratique du chant choral ?
J'ai moi-même suivi ma scolarité auprès de la Maîtrise de garçons de Colmar qui a remporté ce Prix Liliane Bettencourt pour le chant choral en 1996. Je n'en faisais alors plus partie mais j'y étais en même temps que Léo Warynski qui a également remporté le prix, avec son ensemble Les Métaboles en 2018.
La maîtrise est un modèle de développement personnel, artistique et éducatif qui m'a toujours paru pertinent.
Quelle a été la genèse de la Maîtrise Sainte-Philomène de Haguenau ?
Le projet a débuté en 2007. J'ai alors proposé à plusieurs établissements d'accueillir des classes à horaires aménagés et c'est l'Institution Sainte-Philomène qui s'est engagée dans cette aventure. J'ai donc rejoint cet établissement dans un modèle assez unique car j'y suis à la fois enseignant en éducation musicale pour le collège, et directeur musical de l'école maîtrisienne (j'enseigne durant les matinées aux 16 classes de Collège et le temps des après-midis est réservé à la Maîtrise). C'est doublement précieux pour moi car j'enseigne aussi aux maîtrisiens dans le cadre scolaire, et car je peux d'autant mieux accompagner les élèves de l'école vers la maîtrise.
Dès 2007, nous avons constitué un chœur d'une vingtaine d'élèves sur la base du bénévolat, à l'image d'une chorale mais avec, au long terme, un projet spécifique, artistique et pédagogique. En 2008, nous avons pu officialiser un partenariat avec la ville de Haguenau (qui a rattaché l'école de musique à l'école maîtrisienne) et le rectorat (qui a mis en place les horaires aménagés). Dès 2008, nous avions ainsi une structure avec une quarantaine d'élèves, répartis sur deux niveaux : pré-maîtrise et maîtrise pour six heures d'enseignement par semaine.
Pourquoi avez-vous choisi Haguenau pour proposer et développer cette Maîtrise ?
Ce choix est un peu stratégique. Nous avons une vraie culture en Alsace du Chant choral, c'est notamment emblématique durant la période de Noël, qui est synonyme de chant et durant laquelle nous sommes très sollicités. C'est une grande richesse de notre patrimoine, nous sommes une région extrêmement riche en chœurs d'enfants. L'Alsace est aussi riche de nombreux lieux de rayonnement culturel avec notamment Strasbourg, Mulhouse, Colmar... Mais l'Alsace du Nord est moins dotée de ces très forts pôles de rayonnements, et de lieux permettant de poursuivre plus aisément des perspectives professionnalisantes.
Or, Haguenau a tout de même une bien belle structure avec cet établissement scolaire, dans une ville de 34.000 habitants. Nous disposons ainsi de très bonnes conditions de travail pour les élèves et c'est ce qui nous a permis de tout de suite lancer le projet (l'alternative aurait sinon pu être Saverne).
L'Institution Sainte-Philomène de Haguenau est immense : réunissant 1400 élèves de la maternelle au BTS. C'est un immense avantage car tous nos maîtrisiens sont dans l'école, et nous pouvons ainsi adapter les emplois du temps (contrairement aux autres maîtrises où les choristes viennent de différentes écoles). Les horaires sont véritablement aménagés, libérés sur les mêmes créneaux (d'autant que nous avons le soutien du chef d'établissement, du rectorat, des collègues, de la ville, des parents...). Notre organisation nous permet de mettre en place toute la structure pédagogique, d'allier le suivi scolaire et artistique.
Comment s'articule le lien entre la Maîtrise, l'École de musique et l'Éducation nationale, pour vous et pour les élèves ?
Grâce à l'organisation des horaires aménagés, les élèves finissent les cours plus tôt : au primaire ils terminent ainsi le lundi à 14h30 et vont à la maîtrise jusqu'à 17h, au lieu de 16h. Cette heure entre 16h et 17h (souvent prise sinon pour l'étude) nous est très utile aussi les autres jours. Nous travaillons ainsi avec les élèves tous les jours hormis le mercredi.
Toute la difficulté du travail maîtrisien consiste à libérer beaucoup de temps et de professeurs en très peu de temps : nous sommes parfois les cinq collègues réunis pour répartir les élèves dans les différents cours, pour que leur temps soit le plus efficient possible sur le plan pédagogique.
Les écoles maîtrisiennes et l'apprentissage en école de musique ou en conservatoire sont alors tout à fait complémentaires, cela fonctionne tout à fait bien ensemble. La maîtrise est une belle alternative pédagogique et artistique, fondée sur un enseignement de projets. Notre rapprochement avec la ville et l'école de musique nous permet également d'intégrer les cours de formation musicale dans le temps scolaire. Nos maîtrisiens n'ont ainsi qu'à ajouter une demi-heure de cours s'ils veulent aussi pratiquer d'un instrument : de fait, beaucoup d'entre eux le font et c'est très intéressant pour nous à la maîtrise. Lorsqu'un élève est aussi instrumentiste, le rapport au son, aux notes, est d'autant plus concret, physique.
Comment cette Maîtrise s'est-elle développée ?
Ce projet est en convention avec la ville, l'établissement ainsi qu'une association de parents d'élèves : un modèle là aussi assez unique dans le paysage des "maîtrises" (qui sont des ensembles très divers : ce peuvent être des chœurs appartenant à la fédération des petits chanteurs, des structures associatives, d'autres rattachées à des établissements scolaires, etc.). Avec ces trois acteurs, nous avons pu nous déployer et monter une structure qui dispense désormais 32 heures d'enseignement par semaine.
Cette maîtrise s'est ainsi développée en 15 ans, dans un déploiement de la qualité pédagogique nous permettant d'aborder un riche répertoire avec un travail approfondi. Nous avons beaucoup recruté (notamment en période de Covid où la demande et le besoin artistiques étaient exacerbés). Nous sommes même désormais dans notre plus grand effectif mais nous travaillons toujours à conserver notre identité et la spécificité de notre travail : afin que, même dans un grand groupe, chacun puisse se sentir moteur du projet.
Comment avez-vous traversé la période du Covid ?
Les chœurs d'enfants ont beaucoup souffert durant cette période. Ceux qui sont restés debout, ce sont essentiellement ceux qui étaient rattachés à des structures scolaires, ceux qui avaient des horaires aménagés avec l'Éducation Nationale. Les chorales qui avaient une ou deux heures par semaine ont eu beaucoup de mal à se relever, voire ne s'en sont pas relevées.
Pour notre part, nous avons fait quelques chœurs virtuels, en travaillant avec des enregistrements (nous avons d'ailleurs proposé un chœur virtuel avec les Haguenoviens, en les invitant à s'enregistrer, afin que nous puissions re-synchroniser les voix).
Mais très rapidement, nous avons pu reprendre le travail : dès que les classes ont rouvert, en respectant les codes de l'Éducation Nationale (les écoles de musique étaient fermées mais les classes de l'Éducation Nationale étaient ouvertes). Au final, nous nous sommes tous habitués à quelque chose d'impossible. C'était très compliqué, avec les masques à changer toutes les 1h30 (nous avons acheté 6.000 masques durant ces périodes). Nous avons même chanté un opéra (Le Roman de Renart) avec les masques. La compositrice Coralie Fayolle était présente. C'était un moment très fort, où toute présence était d'autant plus intense.
Quelles sont les différentes sections de la Maîtrise et comment accompagnent-elles le développement des jeunes voix ?
Notre maîtrise est une structure pédagogique et artistique qui se déploie sur trois niveaux : pré-maîtrisiens (qui sont une trentaine), préposés (une dizaine) et maîtrisiens (une quarantaine).
Tous les ans nous recrutons une quinzaine d'élèves, après une année d'initiation en CE1 pour tous (ils ont tous une heure de cours en différents groupes, en-dehors des classes, en les mélangeant). Ces 80 élèves sont ainsi un vivier qui connaît déjà le travail que nous allons faire, en l'orientant sur ce qui est important pour nous. La pré-maîtrise, qui recrute donc (principalement) en CE2, part sur un apprentissage plus ludique du chant, pour aller vers une découverte du son, des registres, de la tessiture, dans une conscience de la respiration et une logique de libérer la voix, avec beaucoup de mouvement.
Les préposés sont dans leur propre niveau intermédiaire et aussi réunis avec le grand chœur : c'est pour eux une année leur permettant de s'adapter au grand groupe, de rentrer dans le bain de la maîtrise avec un palier progressif.
Enfin, les maîtrisiens (principalement durant les années du collège : de la 6ème à la 3ème) ont une formation complète avec toute une pédagogie de projet autour d'un répertoire le plus varié possible pour développer la voix.
Ces niveaux ne sont toutefois pas strictement calqués sur les années scolaires (nous organisons tous les cursus en disciplines et en cours de niveaux, ainsi par exemple un cours de pré-maîtrise peut réunir des élèves du CM1 à la 5ème, ce qui est très complexe concernant l'organisation des emplois du temps de toutes ces classes).
Comment opérez-vous le recrutement ?
Nous expliquons bien aux élèves et à leurs parents ce que cette formation représente en termes d'engagement, de nombres d'heures et d'années. À l'inverse des nombreuses activités qui leur sont proposées un an ou deux, nous disons déjà aux élèves qui nous rejoignent qu'ils ont vocation à être en concert avec nous dans 5 ans ou 7 ans.
Ils rejoignent ainsi des camarades passionnés : nous ne demandons pas de connaissances musicales préalables mais une grande motivation (ce qui est difficile à juger car un élève de CE2 a tendance à être motivé pour absolument tout). Nous visons aussi à respecter une parité entre garçons et filles, pour le son et pour la vie du groupe.
Lorsqu'on parlait (y compris dans les textes officiels) à l'origine des maîtrises et des classes CHAM (à horaires aménagés), il s'agissait surtout d'en présenter une vision d'élitisme : elles devaient être réservées pour les bons élèves, ayant de bonnes notes. Désormais, nous sommes dans une vision tout autre : celle d'aider tous les élèves par l'expression artistique, par une formation avec l'art.
Nous ne recrutons donc pas les "meilleurs élèves" des classes, mais ceux qui ont quelque chose à dire et envie de l'exprimer. Les profils d'élèves se diversifient ainsi. Je le vois aussi en tant que parent d'élève car mon fils a également rejoint la maîtrise : il s'y sent très bien, il s'est ouvert (même s'il ne travaille pas forcément mieux à l'école [sourires]).
La maîtrise est désormais d'une certaine manière l'inverse de l'adolescence ! Au lieu de se refermer sur soi, nous leur demandons de s'exprimer, de faire passer des émotions, d'adapter son interprétation à ce que nous chantons ensemble et à ce qu'ils ont envie de dire.
Quels sont les différents volets de cette formation et qui sont vos collègues de l'équipe enseignante dans la Maîtrise ?
Nous sommes une équipe de 5 collègues, pour offrir une panoplie d'enseignements nous permettant de proposer un parcours musical complet. Nous formons ainsi des mélomanes et des artistes, qui continueront leur parcours musical (en tant qu'auditeurs éclairés, ou interprètes professionnels).
Agnès Krempp a un poste polyvalent au sein de la maîtrise (elle s'occupe des voix d'hommes, du déchiffrage, de formation musicale).
Marie Bürckner est responsable vocale (professeure de chant de l'établissement) : elle voit les élèves en individuel et partage avec nous un résumé, un état de chaque voix et des éléments à travailler. Ce sont des recommandations très précieuses que nous pouvons utiliser dans le chœur entier, cela me permet d'affiner le travail, de changer au besoin de tessitures, de registres,... C'est un suivi indispensable pour ces élèves, qui travaillent leur voix 7 heures par semaine (et si vous vous promenez dans une cour de récréation, vous entendrez combien les jeunes sollicitent aussi leurs voix au quotidien !).
Annette Schäfer est directrice de la pré-maîtrise et pour cet apprentissage ludique, elle s'appuie pleinement sur sa formation de DUMISTE [titulaire du DUMI : le Diplôme Universitaire de Musicien Intervenant qui permet d'enseigner la musique au primaire, ndlr]. Son travail fonctionne très bien avec les jeunes élèves.
Charlotte Cotteau est en charge du travail du déchiffrage. Nous organisons ainsi le cursus dans la complémentarité et dans le temps.
Les enseignements sont très modulés dans les effectifs, entre des cours individuels de technique vocale, des cours de déchiffrage à une dizaine, des cours de formation musicale à 5, des cours de pupitre à 20 et des tutti à 40...
L'idée est de les accompagner à travers différents groupes dans une démarche de progression continue, et de travailler différemment le chant et l'oreille : c'est précieux pour eux, c'est précieux pour nous afin d'entendre les détails de chaque voix et de l'ensemble des voix, pour travailler dans un sens précis et commun.
Monsieur Olivier Saenger (directeur de l'École Municipale de Musique et Danse de Haguenau) permet de créer le lien entre les enseignements classiques et l'enseignement de la Maîtrise : il œuvre ainsi, de manière constante et bienveillante, au bon fonctionnement de notre projet éducatif et pédagogique.
Comment gérez-vous la mue des garçons, au moment où ils chantent dans la Maîtrise ?
Nous avons aussi les tessitures masculines parmi la Maîtrise et notre répertoire est souvent à voix mixte (le chœur d'hommes est indispensable et même primordial pour un répertoire tel que celui de la Renaissance par exemple). Nous avons même également un chœur d'homme, d'une dizaine de voix, qui nous accompagnent et connaissent très bien le chœur d'enfants car il s'agit d'anciens maîtrisiens. Ils peuvent d'autant mieux échanger avec nos 4-5 maîtrisiens qui muent chaque année.
Quels répertoires abordez-vous ?
Notre projet se définit justement par le fait qu'il aborde tous les répertoires : de la Renaissance à nos jours, en passant par la période baroque, les périodes classiques et romantiques également (quoique les répertoires s'y prêtent a priori un peu moins aux voix d'enfant, mais le XIXe siècle nous offre un catalogue d'opéras, toujours pertinent pour développer la largeur et la profondeur du son).
L'idée est qu'un maîtrisien, en sortant, ait pu aborder différents répertoires et la manière d'adapter sa voix selon le répertoire, selon les esthétiques et les formes.
Chaque répertoire a sa particularité, c'est ce qui fait toute la richesse de cette pratique et de cette formation.
Pour Noël, nous préparons la Messe de minuit de Charpentier, de fait nous travaillons la musique baroque française : ce qu'elle est, où, quand, comment elle se chante différemment par rapport à d'autres musiques baroques, comment elle se prononce... Et nous allons bien entendu visiter Versailles. Nous leur apprenons à chanter (maîtriser sa voix), mais à chanter tel répertoire.
Les projets d'opéras nous permettent également d'aborder un travail scénique avec un metteur en scène, ce sur un an, et avec les professeurs de français (là encore dans une corrélation avec tout le milieu scolaire).
Nous travaillons aussi la dimension solistique et l'acoustique (le théâtre d'Haguenau qui sonne différemment de l'église).
Quel est votre rayonnement territorial ?
Nous faisons rayonner notre établissement et la ville d'Haguenau, un pôle musical qui a investi pour un cadre artistique exigeant et de qualité : c'est l'énergie d'un établissement, de toute une ville qui est ainsi récompensée cette année.
Nous donnons des rendez-vous mensuels à Haguenau avec une grande dynamique locale (à Haguenau nous avons des salles de 500 places), et nous rayonnons également à travers notre région (Grand Est). De surcroît, nous organisons chaque année une tournée pour promouvoir le travail de la maîtrise, en France ou à l'étranger : l'année dernière nous étions en Belgique, cette année nous allons en République Tchèque près de Prague, nous sommes allés en Normandie...
Tous les deux ou trois ans, nous rassemblons le bassin haguenovien autour de nous. Ainsi pour notre 15ème anniversaire nous avons proposé un concert avec tous les chœurs de notre bassin dans un projet un peu atypique : dans une Halle aux Houblons réhabilitée avec plus de 1000 places.
Nous nous réunissons également avec les différents chœurs de la région, et avec des chœurs de petits chanteurs à travers le pays. Ces rencontres sont des moments d'ébullition, où nous travaillons ensemble à de grands projets, à des rencontres, des inspirations, un partage de passion.
Est-ce que vous suivez le parcours de vos anciens maîtrisiens et les réunissez-vous parfois ?
Nous nous réunissons aussi régulièrement que possible, c'est très important (je le sais au premier chef : j'ai pu moi aussi retrouver dans des réunions la Maîtrise des garçons de Colmar et ce sont des moments extrêmement précieux).
Réunir les anciens et les nouveaux, permet aussi de souligner combien le parcours dans une maîtrise offre des moments de scolarité, des moments musicaux mais aussi ces moments de vie qui sont si importants. Certains sont entrés au CNSM en technique du son, d'autres font des études de vétérinaire, plusieurs continuent leur travail de la voix et de la musique dans l'enseignement...
Pour notre 15ème anniversaire, 40 anciens ont ainsi pu revenir, ils ont choisi et chanté une pièce emblématique pour eux dans leur parcours maîtrisiens. Il s'agissait de Luminous Night of the Soul d'Ola Gjeilo, presque de la musique de film de ce compositeur qui est un peu dans la lignée de Whitaker. C'est une œuvre qui les a particulièrement touchés, une pièce faste avec des ostinati, des voix qui se répètent et se démultiplient dans un grand crescendo. L'énergie de la pièce les a touchés.
Avez-vous d'autres morceaux emblématiques de la Maîtrise ?
Pour moi non, car nous avons un répertoire très riche et qui change chaque année, mais pour chaque élève oui. Certains citent le Miserere d'Allegri par exemple parce qu'il leur a offert un moment soliste, ou bien parce que cette pièce est particulièrement liée à un moment marquant, à un souvenir en tournée. C'est aussi la si belle particularité du travail avec les enfants : chaque pièce va rester rattachée à des moments de vie.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de candidater pour ce Prix Liliane Bettencourt pour le chant choral et qu'est-ce qui vous parle dans l'action de la Fondation Bettencourt Schueller ?
Leur slogan "donner des ailes aux talents" nous parle beaucoup.
Notre mission n'est pas de créer des chanteurs mais de leur en donner la possibilité, les moyens, les outils s'ils le souhaitent : pour devenir artistes et auditeurs éclairés.
Le lien avec la Fondation Bettencourt Schueller est fort dans les trois dimensions du savoir qu'elle valorise et qui sont très présents dans notre projet pédagogique : le savoir artistique, le savoir-faire (technique, artisanal : utiliser sa voix, gérer son diaphragme, trouver ses résonateurs, pour se produire en concert), ainsi que le savoir-être (vivre avec les autres, s'épanouir, avec sa propre progression et dans une conscience de faire partie d'un groupe).
Nous voyons ces dimensions dans les différents domaines et champs d'action de la Fondation Bettencourt Schueller : scientifique, artistique, artisanat...
Ce concours et ce Prix viennent en outre nous apporter renommée mais aussi reconnaissance, envers ces différentes dimensions et formes de savoir pour lesquelles nous œuvrons.
Ce prix est une manière de valoriser notre travail de qualité, et de le faire découvrir. C'est une récompense du travail pédagogique et une fierté pour les élèves, une récompense pour eux.
Qu'avez-vous mis en avant dans votre dossier ?
Le fait que chaque élève ait sa place, que nous lui faisons sa place, individuelle, unique : qu'il n'est pas un numéro ou une voix seule mais qu'il est une voix unique, et irremplaçable. Notre objectif n'est pas de former un chœur ou des choristes, mais de former des chanteurs qui vont chanter dans un cœur. Il faut offrir à chaque élève une démarche de progression personnelle (si un élève ne progresse pas, il se décourage et arrête : s'il ne progresse pas malgré ses efforts, il se démotive, même dans un cadre aussi intéressant, même parmi un esprit de groupe, qui lui offre des voyages, des horizons...).
Lorsque nous en sommes venus à résumer notre travail, nous avons bien sûr mis en avant les formes du savoir pédagogique mais surtout le fait que nous travaillons pour que chaque élève ait au maximum sa propre progression. C'est très complexe à mettre en œuvre au quotidien, ne serait-ce que dans les emplois du temps, mais c'est d'une infinie richesse et cette qualité de notre formation pédagogique, alliée à la diversité du répertoire abordé nous apportent cette reconnaissance.
Que vous apporte ce Prix ?
Le Prix nous permet de rêver davantage, et de développer trois axes, à commencer par notre structure pédagogique (nous avons besoin dans l'immédiat de proposer davantage d'heures de cours pour offrir la richesse de notre projet à notre nombre croissant de maîtrisiens). Nous voulons aussi séparer encore davantage le niveau préposé de la maîtrise l'année prochaine, pour vraiment leur permettre de prendre le temps de leur progression et de parfaitement s'intégrer ensuite dans le cœur de la maîtrise. Dès qu'un élève est un tout petit peu perdu, dès qu'il ose moins chanter, dès qu'il hésite vocalement alors des tensions peuvent apparaître et un découragement avec.
Cela va également nous permettre un déploiement administratif et de notre rayonnement. Nous sommes très connus à Haguenau mais nous allons pouvoir embaucher des chargés de diffusion, de communication pour aller vers des endroits où une association de parents d'élèves et nos forces propres ne peuvent pas encore nous mener. Cela va aussi nous permettre de proposer nos programmes et l'opéra que nous allons interpréter à différents lieux, ailleurs aussi qu'à Haguenau : de les faire tourner. Le concert est toujours l'aboutissement d'un travail pédagogique, et donner plusieurs fois un concert dans différents lieux démultiplie cet intérêt, cette présence.
Enfin, cela va nous permettre de porter des projets artistiques plus audacieux avec de plus grands partenaires : d'intégrer encore davantage les maîtrisiens dans le cadre professionnel avec des orchestres à rayonnement national et international, dans des salles toujours plus prestigieuses. Cela permet de montrer encore plus directement aux élèves les exigences et les dimensions du monde professionnel. Les élèves sont très sensibles à la dimension et à la richesse des lieux dans lesquels ils se produisent, au fait que nous élevions ainsi constamment notre niveau d'exigence et de qualité.
Dès cette année, nous allons également pouvoir proposer des projets plus novateurs : nous allons ainsi filmer un projet en 360°, qui pourra aller dans des endroits éloignés pour des publics empêchés (via des casques de réalité virtuelle avec lesquels chacun pourra se faire son chemin dans l'œuvre : il s'agit d'un partenariat, avec la Fondation Bettencourt Schueller ainsi que l'entreprise alsacienne "Bulle 360").
Votre Maîtrise fait partie des Pueri Cantores - Fédération Française des petits chanteurs, que vous apportent ces échanges ?
C'est une fédération qui permet aux ensembles de se réunir, donc aux élèves de se rencontrer. C'est ce lien premier que je trouve très intéressant et pertinent : de pouvoir ainsi se sentir ensemble, de savoir que d'autres personnes partagent la même passion et fournissent le même travail, c'est très précieux.
Cela permet aussi de dresser un panorama des lieux et des modèles de la pratique chorale. Au sein de la fédération, des chœurs ont une vocation liturgique (ce qui n'est pas notre fonction première même si nous sommes dans un établissement catholique). Certains chœurs ont été créés il y a longtemps, d'autres sont jeunes et proposent de nouvelles visions de l'art choral. Nous avons même travaillé avec l'IFAC (Institut français d'Art choral) et les Pueri Cantores pour pouvoir dessiner trois formules de création des écoles maîtrisiennes : je suis convaincu de l'intérêt de cette formation, de ses apports, du bien-être qu'elle prodigue et je voudrais contribuer à la développer et à la reproduire ailleurs.
Nous participons ainsi à des rencontres autour de nos valeurs communes, sur trois piliers (humain, spirituel et musical).
Quelle est pour vous la place des maîtrises dans le paysage culturel de notre pays ?
Cette place reste assez ténue (par rapport à l'Angleterre par exemple, où c'est une marque de fabrique, extrêmement développée, avec de grands moyens).
Les compositeurs et les musiciens sont moins formés par les écoles maîtrisiennes, par le chant (comme naguère avec le maître de chapelle). Et pourtant, le réseau et le dynamisme sont très riches : il n'est qu'à voir le palmarès du Prix Liliane Bettencourt pour le chant choral.
Le fait que les chorales et maîtrises soient encore trop peu reconnues renforce d'autant l'importance du travail de cette fondation, qui valorise ce travail passionné, qui montre une belle vision de ce qu'on a en France.
Cela donne une belle vision de notre jeunesse : qui se passionne, travaille, s'applique, reprend sur le métier son ouvrage, s'inscrit dans la durée... ce sont de belles valeurs qu'ils véhiculent.