Boris Godounov toujours nouveau et actuel par Olivier Py à Toulouse
Cette nouvelle production trouve un écho particulier (et particulièrement assumé par le metteur en scène) alors que les relations complexes entre le peuple russe, ses notables et son pouvoir, sujet principal de l’œuvre, sont au cœur de l’actualité.
Olivier Py a bien sûr choisi d’ouvrir ce filon en insistant sur le caractère presque continuel des luttes de pouvoir en Russie sans que le fossé entre ce dernier et le peuple ne se referme jamais. Les costumes d’époque encadrés des murs palatins dorés alternent ainsi avec les bâtiments de bétons gris de l’époque communiste, un vaste bureau ovale tout en marbre blanc ou encore les bâtiments cubiques gris éventrés où se trouve le peuple quand il n’est pas simplement dans la rue. Un mélange d’époques pour souligner l’intemporalité de la problématique de l’œuvre qui va même jusqu’à une large affiche contrastant gris et doré montrant Poutine et Staline se saluant au cinquième tableau. Ils sont tous les deux d’ailleurs auréolés, ce qui souligne une autre thématique mineure de l’œuvre que sont les liens politiquement incestueux entre religion et pouvoir (notamment par le patriarche qui soutient Boris versus le pape qui soutient l’usurpateur).
La mise en place des chanteurs et des choristes est efficace de même que leurs déplacements ce qui rend la pièce dynamique et garde le public en haleine en maintenant le rythme. Les décors dessinés par Pierre-André Weitz sont impressionnants par leur volume. Si certains sont particulièrement marquants (les scènes de palais notamment), l’aspect fonctionnel a souvent été privilégié sur la finition (les fenêtres des bâtiments, comme le lustre géant font parfois un peu plastique par exemple). Cette fonctionnalité permet une importante mobilité de l’ensemble des structures qui permet les changements de tableaux dans une parfaite fluidité et affirme quelques coups de théâtre comme la loge du patriarche s’avançant rapidement sur scène et déployant ses escaliers pour annoncer que Godounov a accepté d’être couronné. Cette adaptabilité du plateau permet aussi l’absence d’entracte pour un drame plus impactant d’une seule traite. Il ne faudrait cependant pas plus de déplacements au risque de tomber dans les actions parasites.
La mise en scène souligne fortement le décalage entre le peuple vêtu de couleurs sombres dans un environnement gris et souvent encadré par des militaires, et la noblesse pour laquelle les couleurs dorées sont prépondérantes. Boris ne se rend d’ailleurs pas vraiment devant la foule pour fêter son couronnement mais plutôt devant une sélection de notables placés dans des chasses dorées au mur du palais. Ce contraste est aussi particulièrement accompagné par les éclairages de Bertrand Killy qui opposent le blanc le plus froid quasiment agressif pour le peuple, à la chaleur d’un jaune cuivré pour la noblesse. La perpétuation du pouvoir par le crime et l’usurpation s’affirme jusqu’au finale de la pièce. Une fois Boris Godounov mort sous le poids du remords et de la culpabilité, l’imposteur Grigori se couronne mais la vie de ce dernier est déjà menacée par une silhouette dans l’ombre pointant un revolver.
Remplaçant Matthias Goerne initialement prévu pour une prise du rôle-titre (mais toujours programmé pour la reprise de cette production dans trois mois au TCE), Alexander Roslavets se montre endurant en Boris qu’il interprète de façon homogène du début à la fin. Le jeu est plutôt convaincu et les accents de la voix s’adaptent aux tourments du personnage. Il se montre poignant dans les scènes d’introspection et de remise en question, jouant parfaitement avec les limites de la raison que frôle le personnage. Sa voix révèle un soupçon de métal et relativement peu d’aspérités pour une basse, elle pénètre le public par son timbre stable et profond. D'autant que le chanteur la module avec une relative parcimonie ce qui permet l'ancrage des mots dans la solidité de la ligne de chant.
Le rôle du vieux moine Pimène semble taillé pour Roberto Scandiuzzi dont la voix puissante de basse profonde englobe l’ensemble de la salle. La stature de sa voix ouverte et pleine comme de sa présence renforce l’importance du personnage. Il insiste d’ailleurs sur chaque mot de ses interventions les couvrant tantôt de mystère, d’inquiétude ou encore de vérité.
Airam Hernandez montre sa polyvalence en abordant le répertoire russe. Son Grigori bien que suffisamment puissant possède un timbre léger et fluide. La continuité mélodique est assurée avec agilité.
Le baryton Mikhail Timoshenko chante Andreï Chtchelkalov (le clerc du conseil boyard). La voix avec un léger grain s’affirme et se réchauffe au fil de la représentation. Par son jeu, il mène efficacement le conseil des boyards au début du dernier tableau.
Victoire Bunel assure le rôle travesti de Fiodor, le jeune fils de Boris Godounov. Conformément au personnage qui ne se prête pas à de grandes démonstrations, la voix est régulière et assez lisse. Elle assume dans son jeu la simplicité du caractère.
Lila Dufy joue Xénia, la fille de Boris Godounov. Le timbre de soprano est plutôt chaud et se déploie avec fluidité dans la mélodie du chant. En revanche l’articulation fait quelque peu défaut et les syllabes tendent à se mélanger assez indistinctement.
Sulkhan Jaiani incarne l’officier de police Nikititch. La vigueur et la force de sa première intervention contribuent à lancer l’énergie du plateau et à immerger le public dans celle-ci. La voix est claire et profonde.
Yuri Kissin aborde le répertoire de la basse bouffe avec le moine ivre Varlaam. Il dévoile son espièglerie. Sa voix n’en demeure pas moins précise et affirmée. Son camarade Missail incarné par Fabien Hyon est légèrement effacé à côté tant vocalement que scéniquement.
Les ambivalences du Prince Vassili Chouiski se retrouvent dans l’interprétation qu’en fait Marius Brenciu malgré une acidité sur quelques aigus. Sarah Laulan montre une excellente présence en aubergiste. Si le rôle ne lui accorde que peu de répliques, la mise en scène lui donne une importance particulière avec un costume à sequin et un maquillage forcé. Elle se rue lascivement sur Grigori à la limite de l’agression.
L’innocent de Kristofer Lundin assume également la portée de son personnage qui ne doit pas être des plus simples à jouer et se retrouve assez mis en avant tout au long de pièce. La voix passe bien l’orchestre mais est quelque peu fermée.
Svetlana Lifar donne toute son empathie au personnage de la nourrice y compris dans le ton doux et chaud de la voix. Barnaby Rea s’affirme en Mitioukha, la voix est forte et présente un grain élégant. Enfin Hun Kim incarne un boyard avec une voix fluette mais stable.
Personnage central de pièce, le peuple comme les différents groupes spécifiques sont incarnés avec éclat par le Chœur de l’Opéra National du Capitole. Il relève efficacement le défi de cumuler la puissance des denses masses vocales écrites par Moussorgski à la précision rigoureuse de chaque pupitre qui leur permet notamment de s’identifier séquentiellement dans les motifs et les questions/réponses. Ils sont clairs et articulés. Le placement des choristes à 360° dans la salle permet aussi le renforcement des possibilités chorales en jouant sur la distance ou l’orientation des sons.
L’Orchestre national du Capitole dirigé par Andris Poga est par contre souvent approximatif et les phrasés fuyants. Les tempi rapides sont souvent aléatoires ce qui rend l’unité de l’ensemble difficile. Le manque de coordination des pupitres peine à faire ressortir une bonne partie des couleurs de la partition de Moussorgski. La vitesse précipitée permet de renforcer la dynamique voulue par la mise en scène mais conduit souvent à négliger certains motifs et limite le développement du phrasé instrumental. La plupart des effets sont volontairement gommés comme les violents appels de cuivres écrits pour renforcer musicalement la douleur de l’errance du peuple dans le prologue qui ici ne dépassent pas le reste de l’orchestre, ou encore les accents de violons qui là encore se fondent la masse. A contrario quelques passages puissants et travaillés sont tout de même notables tels que la scène du couronnement de Boris où chatoient les imposantes sonorités des cloches, bien amenées et suivies par le reste de l’orchestre.
L’Opéra du Capitole montre donc une production particulièrement fluide et en une traite de Boris Godounov avec une énergie constante à un niveau élevé du début à la fin. La mise en scène exploitant assez facilement mais plutôt habilement les thèmes de la pièce, l’inscrit plus globalement dans diverses époques au fil des mouvements semblant aussi perpétuels qu’intemporels de l’histoire de la Russie et de son rapport particulier au pouvoir. Si aucun air ou scène n’est applaudi pendant la pièce, le public applaudit de façon nourrie à sa fin et les artistes s’avancent pour saluer à plusieurs reprises.