L'Explosive Symphonie des Mille fait un Mahler à la Philharmonie de Paris
Si Mahler ne revendiqua pas ce surnom pour sa Huitième Symphonie, dite ‘des Mille’ par un imprésario, ce monument musical difficilement identifiable (à mi-chemin entre cantate profane, liturgie médiévale, symphonie chorale dont Beethoven avait ouvert la voie) demeure -par sa force et ses dimensions- un événement à chacune de ses interprétations, depuis sa création à Munich en 1910, devant l’Europe musicale et intellectuelle accourue devant cette roborative pièce montée (à laquelle participèrent plus de mille instrumentistes et chanteurs, dans la toute nouvelle salle de concert de l’Exposition Internationale).
C’est dans une forme un peu plus modeste, mais tout de même avec près de quatre cents artistes, que cette 8ème Symphonie est donnée en ce week-end dans la grande salle de la Philharmonie de Paris, pleine comme un œuf.
Afin de restituer l’effet de masse voulu par Mahler pour célébrer cette œuvre à la fois cosmologique et philosophique (un immense hymne exaltant le triomphe de l’amour universel et la victoire du bien sur le mal), Daniel Harding a réuni autour de lui une cohorte d'instrumentistes et choristes Parisiens de tous âges. Dès les premiers accords de la première partie (inspirée d’un hymne latin du IXe siècle, Veni creator spiritus), Harding déploie une énergie électrique et communicative. Son geste concis et autoritaire donne d’emblée un impact vivifiant aux cordes, et une ampleur éclatante aux premières phrases du Chœur qui emplissent immédiatement la salle.
Très attentif à la construction d’ensemble et aux nuances qu’il réussit à varier en des sortes de sous-mouvements très lisibles, Harding joue plus avec les plans sonores qu’avec une attention portée à tel ou tel pupitre, même si la suavité des bois est remarquée, comme la maitrise sonore chez les cuivres toujours attentifs à ne pas saturer l’ensemble.
Mais c’est surtout dans le long frémissement qui initie la deuxième partie composée sur le texte final du Second Faust de Goethe, ou encore dans l’empilement immersif de l’immense ultime section où la totalité des protagonistes se lancent à corps perdus dans un Hymne décrivant la montée de l’humanité portée par le pouvoir de l’amour, qu’Harding fait montre de son savoir-faire, en gérant avec emphase toutes les strates orchestrales et vocales de manière limpide et en peaufinant la construction de ce grand crescendo conclusif avec à la fois rigueur et épanchement.
Les Chœurs d’enfants délivrent une prestation irréprochable, tant dans la précision de leurs attaques que dans le soin apporté aux phrasés et à la prononciation.
Les Chœurs d’adultes remplissent également leur très lourde fonction avec beaucoup de conviction et d’engagement, même s'ils accusent quelques menus décalages avec l'orchestre dans les parties rapides du Veni creator et une certaine timidité dans les ponctuations monosyllabiques pour le Scherzo du deuxième mouvement. L'auditeur louera cependant la belle homogénéité des pupitres et leur exécution des immenses phrases finales, par cœur.
Sarah Wegener laisse planer sa voix fruitée au dessus du septuor des autres solistes dans la première partie avec une projection très dense et une luminosité rafraichissante.
Johanni van Oostrum quant à elle déploie son spinto corsé avec aisance et volume dans ses belles interventions de la deuxième partie.
Johanna Wallroth quant à elle, ravit le public lors de son intervention avant le grand finale, avec des suraigus étincelants et un legato sans faille.
Jamie Barton, dont l’instrument ample et cuivré parait presque trop large malgré l’énorme effectif accompagnant ses solos, délivre en quelques phrases une leçon de chant tant par la profondeur de ses graves que par la rondeur de son haut-médium.
Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, dont le timbre d’ébène se rapproche de sa comparse alto, survole de la richesse de son timbre le fracas orchestral à ses pieds.
Andrew Staples est un peu plus à la peine dans sa longue intervention en deuxième partie. Le timbre solaire et concentré est certes appréciable et lui permet de transpercer la masse orchestrale, mais son souffle se crispe lors des grands aigus tenus, donnant à sa ligne un relief un peu abrupt et une raideur âpre.
Christopher Maltman offre un magnifique solo de baryton en début de deuxième partie, noyant les cordes sous son volume éclatant, alliant tour à tour beauté du phrasé, clarté de la diction et une grande aisance sur la totalité -pourtant redoutable- de la tessiture.
Tareq Nazmi propose lui-aussi un grand monologue non dénué d’emphase et de drame, malgré une émission un peu rugueuse et une tendance à matifier à outrance les aigus, donnant à son timbre des couleurs un peu sourdes.
Le public convaincu par la technicité et l’engouement de tous les protagonistes, applaudit longuement cette puissante soirée.