La Vie de Malcolm X, en direct du Metropolitan Opera de New York
Pas loin de 40 ans après être arrivé pour la première fois dans la ville à la grande époque du New York City Opera, X: The Life and Times of Malcolm X revient à New York mais cette fois-ci pour franchir les portes du très prestigieux Metropolitan Opera. Il s’agit d’un opéra composé par Anthony Davis et dont le livret a été écrit par son frère Christopher Davis et leur cousine Thulani Davis qui présente sous forme de vignettes une douzaine de scènes notables de la vie de Malcolm X. Ce personnage historique, activiste controversé de la cause anti-raciste aux Etats-Unis à l’époque de la ségrégation dans les années 1950 et 60, s'opposait au mouvement des droits civiques porté notamment par Martin Luther King qui proposait au contraire une vision universaliste des droits humains et prônait des actions pacifiques pour la conquête de ceux-ci. Vers le milieu des années 60 les positions de Malcolm X tendent cependant à s’infléchir, avant qu’il ne meure assassiné par arme à feu, au début d’un de ses discours, dans des circonstances demeurant troubles.
La musique d’Anthony Davis est difficile (aux dires même de Kazem Abdullah) et composite. Elle mélange la musique savante contemporaine à de longues plages de Jazz (genre qu’affectionnait particulièrement Malcolm X), de be-bop, de swing,... L’écriture vocale s’articule en de longues lignes souvent staccato (piqué) et peu lyriques laissant parfois la place, à leur terminaison, à des accentuations pour marquer une émotion ou un mot important.
Pour l’occasion une nouvelle mise en scène est signée Robert O’Hara. Un imposant vaisseau spatial circulaire « échoué au Metropolitan Opera » s’élève au-dessus de la scène. En bas se trouve une petite scène de théâtre encadrée de stuc doré et de rideaux rouges s’ouvrant sur un paysage de montagne. L’action se déroule au-devant de cette petite scène plus que sur celle-ci. Elle est entourée de part et d’autre par un chœur de personnes alors brimées, vêtues de somptueux habits dessinés par Dede Ayite mêlant un style futuriste au style traditionnel africain. Le metteur en scène explique pendant l’entracte que le vaisseau spatial est placé en référence au bateau évoqué au tout début de la pièce par les adeptes de Marcus Garvey, militant noir des années 20 qui prônait l’émigration de tous les noirs vers l’Afrique. Ce chœur futuriste en bordure de scène (distinct de celui prenant pleinement part aux scènes de la vie de Malcolm X) correspond aux passagers du vaisseau représentant la communauté noire du futur qui regarde au travers du théâtre son histoire et les personnages grâce auxquels elle a pu survivre et subsister. Sont projetés sur le vaisseau des inscriptions telles que l’année où la scène se déroule, des documents d’archives, des photos, etc. ou encore des éléments situant le cadre spatial (des gratte-ciels pour la ville par exemple). L’éclairage d’Alex Jainchill contribue à renforcer le drame en se focalisant sur le personnage essentiel dans les passages de cristallisation ou les paliers de transition (par des poursuites notamment), quitte à assombrir autour. Une large place est aussi accordée à la danse contemporaine, chorégraphiée par Rickey Tripp. Elle permet de meubler les longs passages de jazz (rappelant un peu les anciens ballets romantiques qui étaient intégrés plus ou moins judicieusement dans les grands opéras). Elle se montre souvent souple et unie mais prend parfois un caractère volontairement saccadé et disruptif dans le but d’induire un dérangement chez le spectateur suite à certaines situations. Elle contribue aussi à certains déplacements et à l’évolution de l’action comme par exemple dans la scène au premier acte où les danseurs portent l’enfant qui deviendra le futur Malcolm X.
L’Orchestre du Metropolitan Opera révèle son éclectisme et son adaptabilité. Les différents styles, qu’ils soient interprétés simultanément ou successivement, sont maîtrisés et bien identifiables, les transitions se passent sans embûches. Certains effets pourraient toutefois être plus accentués pour donner une couleur un peu plus franche à certains passages. L’écriture musicale apparaît souvent détachée de l’action ce que ne tente pas de corriger Kazem Abdullah par des artifices d’interprétation. Le Chœur du Metropolitan Opera se montre coordonné et nuancé. Intervenant souvent en effectifs restreints, il prouve les grandes qualités vocales et la précision de chacun de ses pupitres.
Le baryton Will Liverman interprète Malcolm X avec sobriété. Sa voix comme son attitude reflètent le sérieux voire la sévérité du personnage qu’il sait toutefois adoucir à certains moments clefs (comme à la révélation lors de son pèlerinage à La Mecque ou même dans sa confrontation avec Elijah Muhammad). Ses expressions faciales s’inscrivent dans celles de Malcolm X. La similitude des expressions du visage -bien visible en gros plans cinématographiques- est indéniable à la comparaison d’images d’archives qu’il a probablement dû étudier avec beaucoup d’attention. La voix est ferme et sûre mais jamais trop forte. L’évolution physique marquant les différents âges de sa vie est par ailleurs tout à fait crédible.
Leah Hawkins incarne Louise (la mère de Malcolm) puis Betty (son épouse). Son amplitude vocale est particulièrement importante, puisant sans difficulté dans les graves. Le vibrato est maitrisé et affirmé. Elle développe aussi son jeu qui apparait souvent juste et convaincu.
Le ténor Victor Ryan Robertson chante Street (personnage du Boston populaire où vit Malcolm X avec sa sœur) et surtout Elijah Muhammad, père spirituel de Malcolm X. Il dévoile de beaux et puissants aigus finaux dans ses répliques. Son attention particulière au phrasé contribue grandement à l’esthétique de ses lignes vocales. Avec son premier personnage, il intègre de plus parfaitement dans son chant le style Jazz et égaie le public dans les passages dansés.
Michael Sumuel incarne Reginald (un frère de Malcolm X) dont l’action principale est d’inciter Malcolm X à se convertir. Sa voix de basse forte, profonde et gutturale lui confère ainsi un caractère de dieu gréco-romain auxquels ce type de voix était souvent attribué dans l’opéra baroque et classique. Raehann Bryce-Davis joue Ella, la sœur de Malcolm X, qui l’élève suite au décès de son père et à la maladie de sa mère. Son empathie se ressent dans sa voix comme dans son jeu. Elle montre également de belles souplesses dans ses inflexions.
Après des problèmes de transmission (annoncées au niveau national) rendant les premières scènes assez chaotiques avec des pertes de sons et même d’images, la ciné-diffusion revient fort heureusement en place. Les plans, souvent pertinents, changent suffisamment pour apprécier l’ensemble du décor comme les expressions des personnages sans perdre le spectateur. L’aménagement des entractes par des interviews et mini-documentaire permet de mieux situer l’œuvre et d’appréhender le ressenti des artistes. Le changement et la mise en place du décor ainsi que la régie sont aussi filmés pendant les entractes ce qui permet de montrer, comme trop rarement, le travail des multiples petites mains œuvrant à la mise en œuvre d’un si grand spectacle.
Cette diffusion de X: The Life and Times of Malcolm X permet donc au public français (et même plus largement) de découvrir cet opéra américain que certains considèrent déjà comme un classique. C’est aussi une bonne occasion de s’intéresser à la vie de Malcolm X plus controversé et beaucoup moins connu dans nos contrées que d’autres figures de la cause, telles que Martin Luther King ou Rosa Parks. Les choristes, comme les solistes ainsi que l’équipe de mise en scène et le chef d’orchestre saluent avec un T-Shirt marqué d’un grand X noir en mémoire du personnage éponyme. Le compositeur et les librettistes sont également présents, devant le public qui applaudit avec conviction mais sans s’attarder.