Les Contes d’Hoffmann et le contraste des illusions perdues à l’Opéra de Liège
Stefano Poda réalise -avec son assistant Paolo Giani Cei- la mise en scène et la scénographie de ses productions, mais aussi les costumes, les lumières et la chorégraphie, dans ces déclinaisons de noir et blanc qu’il affectionne tant. Pour ces Contes d’Hoffmann, un vaste et imposant cabinet de curiosités occupe les contours du plateau, sorte de paroi-bibliothèque réunissant tous les objets collectionnés par Hoffmann avide de connaissances et toujours soucieux de sonder les mystères de la vie.
Au centre de cette construction, une surface tournante en forme de quadrilatère est occupée par le jeune poète au lever de rideau. Pièce refuge, chambre de réflexion ou de désespoir, elle se transforme ensuite au gré des actes, en pseudo gondole ou en table de roulette de casino par exemple, tandis qu’Hoffmann se perd sur scène dans des amours sans légitime avenir.
Des vitrines closes et amovibles sont sans cesse manipulées par des choristes. Elles renferment dans un premier temps des automates à l’image d’Olympia et imitatrices des gestes de celle-ci, puis des représentations de grandes divas du passé, de Giuditta Pasta à Maria Callas, mais aussi de la mère d’Antonia glorieuse servante de l’art lyrique.
Stefano Poda propose ainsi un spectacle fort esthétique, aux lumières particulièrement soignées, centré sur la psychologie particulière d’Hoffmann et la perte de toutes ses illusions, mais de fait très sombre en termes d’ambiance, gommant toutes les parties plus bouffes de l’ouvrage.
L’acte d’Antonia apparaît le plus abouti, avec ces phonographes posés sur scène et ces 78 tours auxquels se rattache la jeune fille de 20 ans pour faire revivre douloureusement la voix unique de la mère et rêver pour elle-même à une future carrière de cantatrice.
Arturo Chacon-Cruz, appelé à remplacer Celso Albelo initialement prévu pour le rôle-titre, adhère sans réserve à la conception du metteur en scène. Il campe un Hoffmann éminemment fiévreux et toujours en mouvement, avide d’amour mais toujours à contre-courant, s’égarant sans cesse et sourd aux avertissements répétés de son ami Nicklausse. Très en forme et émettant les aigus du rôle avec un rare aplomb mais aussi un rien d’ostentation sur leur durée, Arturo Chacon-Cruz s'exprime avec une réelle facilité dans de ce rôle qu’il connaît bien, avec une tendance à bousculer un peu la ligne de chant, comme emporté par les élans du personnage.
Depuis son incarnation des quatre rôles féminins à l’Opéra de Bordeaux en septembre 2019, la voix de Jessica Pratt s’est indéniablement densifiée par le bas, conservant toujours une singulière largeur et des graves épanouis. Mais les vocalises d’Olympia apparaissent moins précises et le suraigu moins libre désormais, malgré l’introduction de variations multiples (un rien excessives dans l’air de la poupée mécanique). Antonia convient certes mieux à la sensibilité de l’artiste et la voix y trouve son meilleur dans ses couleurs et ses éclats, tandis qu’elle remplit bien son office avec la courtisane Giulietta avide de richesse et préoccupée exclusivement par elle-même.
Erwin Schrott occupe la scène à lui seul de toute sa démesure flamboyante, offrant un portrait unique et violemment sarcastique, voire démoniaque, des différents personnages qu’il interprète, soit le conseiller Lindorf, Coppelius aux yeux miraculeux, le terrible Docteur Miracle et le riche et vénal Dapertutto. Sa voix de baryton-basse certes large et fort saisissante, se préoccupe plus de l’effet souhaité que de traduire l’esprit même de la musique d’Offenbach. Il s’agit d’une question de style et d’adéquation au chant français. De fait, tout semble presque démesuré dans la grandiloquence de son interprétation mais aussi la dimension superlative de ses moyens.
La Muse et Nicklausse trouvent en la mezzo-soprano Julie Boulianne une interprète de choix. La voix s’affirme et se développe durant toute la représentation, avec des couleurs à la fois suaves et profondes. Les personnages bouffes incarnés par Vincent Ordonneau -Andrès, Cochenille, Frantz et Pitichinaccio- pâtissent donc de la version tragique proposée par Stefano Poda. Pour autant, ce ténor parvient à s’exprimer et à insuffler un certain caractère aux différentes compositions, notamment durant les couplets de Frantz chantés avec aisance.
Les personnages de Luther et de Crespel conviennent parfaitement à la basse solide de Luca Dall’Amico, habitué de la scène liégeoise. Le jeune ténor français Valentin Thill donne un relief certain au « père » d’Olympia, le savant Spalanzani. La voix s’élève avec ferveur et une vibrante jeunesse, malgré le personnage âgé qu’il doit investir ici.
La mezzo-soprano Julie Bailly, depuis sa vitrine, manque un peu d’épaisseur et de projection vocale pour faire entendre au mieux la Mère d’Antonia, tandis que la voix un peu rugueuse de ton de Roger Joakim intervient dans le rôle de Schlemil à l’acte de Giulietta, et celle de caractère du baryton Samuel Namotte en Hermann.
Membre des Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, Jonathan Vork interprète avec efficacité le petit rôle de Nathanaël. En cette matinée de première, les Chœurs justement apparaissent un peu en décalage au début de la représentation avant de se rétablir complètement sur le reste de l’ouvrage. Il en va de même de l’Orchestre qui prend heureusement rapidement de l’assise sous la direction musicale inspirée et modulée de Giampaolo Bisanti, fort applaudi ce très justement à l’issue de ces Contes d’Hoffmann qui semblent avoir conquis le public de Liège.