Un de la Canebière, oh Bonne Mère ! Hilarité Générale à l'Odéon de Marseille
Cette nouvelle mise en scène signée Simone Burles est un cocktail d’humour, de fantaisie et d’originalité. Dès le hall de l’Odéon, deux hommes-sandwichs déguisés en boîte de sardines distribuent les programmes.
Puis en salle, les trois coups sont suivis d’une chanson d’Aznavour sur Marseille, avant que deux ouvreuses parcourent les travées de la salle comble, avec des paniers de sardines brandies sous le nez du public.
L’ouverture dirigée par la baguette de Didier Benetti enchante les spectateurs, qui fredonnent “Le plus beau Tango du monde” déjà envoûtés par ces premières mesures. Le chef conduit, avec une gestique précise et une vaste palette de nuances, un petit effectif, dont le piano, les percussions et la contrebasse forment une section rythmique dynamique. Le violon expressif et mélodieux charme tout autant le personnage de Toinet (l'un des trois pêcheurs protagonistes amoureux) dans “J’aime la mer comme une femme”.
Les trois amis pêcheurs ("Les Pescadous... ouh ! ouh !") : Toinet, Girelle et Pénible se font “menteurs comme des parisiens”, pour charmer Francine et Malou, des stars imaginaires. Certes, une sardine ne suffit pas à boucher le vieux port, mais ces coquins promettent d'en livrer pas moins de 800.000 en se faisant passer pour de riches industriels. C'est la tante Clarisse (Pénible, déguisé) qui doit honorer le contrat, alors ils décident de la faire disparaître, fictivement, mais un armateur pensant l'avoir effectivement tuée avec son bateau, achète leur silence aux Marseillais qui peuvent alors acheter effectivement l'usine de sardines : happy end.
Un des ressorts comiques de la mise en scène réside dans le va-et-vient fréquent des interprètes, du plateau jusqu’à la salle, utilisant toutes les issues possibles, prenant à témoin certains spectateurs, virevoltant de-çi de-là dans une joie communicative.
Marseille est toujours présente dans les décors : d’abord le petit port du vallon des Auffes projeté en fond de scène avec, au premier plan, tables et chaises, barques et cageots. Puis l’étal de Margot au marché, devant la Basilique Notre-Dame-de-la-Garde, surnommée La Bonne Mère, gardienne et protectrice de Marseille. Sans oublier la mer, la boîte de nuit “La Réserve” et le bureau des PDG de la fabrique de sardines.
Plusieurs chorégraphies de Maud Boissière rythment cette épopée, qui va mener nos trois pescadous (pécheurs) à la tête d’une vaste entreprise de conserves. Un numéro de claquettes précis, parfaitement synchronisé réunit les huit danseurs en costumes rayés noirs et blancs, costumes de l’Opéra de Marseille variés et souvent fastueux, notamment ces robes rouges des danseuses pour interpréter avec leurs cavaliers le plus beau tango du monde.
Toinet incarné par Grégory Benchenafi chante d’une voix cuivrée, nuancée, avec une rythmique précise, un texte nettement articulé. Il est né dans un tramway sur la Canebière et charme le public avec “on connaît notre cane cane…canebière, qui finit au bout de la terre coquin de sort.”
Caroline Géa (Francine) chante d'une voix souple, sensuelle, au vibrato léger avec un pianissimo soutenu dans l’aigu, traversant la salle de l’Odéon. La justesse est impeccable, l’articulation nette. Toinet la rejoint pour l’embrasser et lui chanter “un petit cabanon”, dont les spectateurs murmurent doucement la mélodie.
La metteuse en scène Simone Burles joue également le rôle de Margot, personnage haut en couleur, “une coquinasse brunasse, dont la chevelure change de couleur comme un caméléon”. Elle chante d’une voix timbrée, chaude, dans un registre assez grave, avec un texte nettement articulé et une grande rigueur rythmique.
La plupart des interprètes parlent “avé l’accent” marseillais, irréprochable et indispensable ! Deux exceptions : Fabrice Todaro, (Garopouloff), riche négociant à l’accent russe, persuadé d’avoir tué avec son bateau la fausse tante Clarisse, et le facétieux Jean Goltier tantôt maître d’hôtel, tantôt groom -sans accent mais avec beaucoup de mimiques comiques et parfois une voix haut perchée.
Estelle Danière (Marie, qui vient du "Nord", c'est-à-dire... d'Avignon) et Yves Coudray (Charlot, agent SNCF) incarnent un couple aux mœurs légères, se disant (et jouant) tout avec franchise. L'ensemble des artistes, chanteurs et comédiens, interprètent avec justesse, nuances et une articulation de qualité les différents tutti.
Toute la galerie des personnages savoureux de cette opérette s'investissent beaucoup dans le jeu de la comédie et le dynamisme scénique, frétillant et uni comme un banc de sardines.
Priscilla Beyrand tire toute l'élégance possible de son personnage de Malou, en duo de stars jumelles avec Francine volontairement sans profondeur.
Claude Deschamps incarne Girelle, qui parle beaucoup et reçoit des avances avec complicité.
Jean-Claude Calon assume le caractère benêt du personnage nommé "Pénible", sachant aussi faire rire par ses gaffes, aussi bien qu'attendrir après une nuit de délices. Lui et Margot se laissent prendre au jeu de la supercherie (et le public avec) jusqu'à s'éprendre.
"Bienaimé des Accoules" (Antoine Bonelli) est un renard rusé sans en avoir l'air qui sait ajouter de petites conditions aux contrats, aussi fines que ses répliques.
La (vraie tante) Clarisse, Anne-Gaëlle Peyro, exubérante, montre bien sa stupeur quand elle découvre le pot aux roses (son neveu vêtu comme elle), sa voix très aiguë faisant alors ressortir tout le comique du personnage.
Le finale, enjoué, les réunit autour des jeunes mariés, enchaînant deux passages phares : Notre Cane-Cane-Cane Canebière et Un petit Cabanon, scandés par les battements de mains du public, répétés de nombreuses fois entre chaque salut de la troupe, reçu par des ovations enthousiastes saluant ces trois heures de rire et une bulle de bonheur à l’Odéon !