Florencia en el Amazonas au Met : les merveilles de l’Amazone au cœur de Manhattan
Florencia en el Amazonas (Florencia sur l'Amazone) est un opéra volontiers inspiré du “Réalisme magique”, mais qui insiste ici bien davantage sur les aspects magiques, plutôt que réalistes. L’opéra a été créé en 1996 à Houston, sur un livret de Marcela Fuentes-Berain, d’après le livre de son maître Gabriel García Márquez, “L'Amour aux temps du choléra”. Différents personnages s’embarquent dans une croisière à destination de Manaus, au Brésil, où ils vont pouvoir admirer la cantatrice Florencia Grimaldi. Au-delà des affaires de cœur des différents passagers, l’intrigue s’intéresse ici particulièrement à Florencia, présente secrètement à bord car à la recherche de son mari, chasseur de papillons disparu. L’opéra est composé autour de deux actes, le premier permettant de présenter les différents personnages et les dynamiques entre eux, avant que le second ne voie le rêve tourner au cauchemar, avec pêle-mêle, un quasi naufrage, le choléra, et la dispersion des personnages, dont Florencia. Cet opéra rejoue ainsi (avec) différents autres opéras, dans un aspect méta-référentiel : notamment Madame Butterfly, dans l’écriture musicale inspirée de Puccini ainsi que dans le thème prégnant des papillons (Florencia finira littéralement en « Madame Butterfly » avec des ailes de papillons), mais aussi avec des scènes comiques entre les couples Paula-Alvaro et Rosalia-Arcadio, rappelant l’esprit et même un peu le texte de L'Élixir d'amour, entre autres références que reconnaît Daniel Catán en évoquant le plaisir des idées prises lors de voyages ou d’écoutes.
Visuellement, cette production mise en scène par Mary Zimmerman, avec le scénographe Riccardo Hernandez, joue davantage sur le voyage intérieur, en proposant un plateau unique, les scènes étant modulées, par des techniciens habillés en marins, avec différents accessoires ou meubles sur le plateau (les rambardes du bateau, des tables pour le dîner…), mais aussi les convaincants effets de lumière de T. J. Gerckens, notamment dans la scène de la tempête. Mais le fait d’armes le plus marquant de cette production est sans doute de proposer une immersion dans une forêt amazonienne hallucinée, avec sa faune et sa flore sur scène, des performeurs devenant tour à tour bancs de poissons ou fleurs géantes, grâce aux splendides costumes d’Ana Kuzmanic, et aux chorégraphies inventives d’Alex Sanchez, là encore dans un jeu de références (dont le colibri en Oiseau de feu par exemple, interprété par Dandara Veiga). Les présences de Griffin Massey en héron, ou des trois marionnettistes Chris Ignacio, Leah Ognawa et Tom Lee, font également entrer la “figuration” dans une véritable action scénique, bien qu’ils restent tous silencieux. Loin d’un quelconque réalisme, cette production s’envisage donc davantage comme une réalité surréaliste, pensée par la plume d’un voyageur.
Yannick Nézet-Séguin conduit avec évidence cet opéra dont la partition paraît également évidente pour l’orchestre, s’amusant entre musique de film d’aventure et opéra vériste. La fosse est ainsi efficace, sans grandiloquence. Les solistes instrumentaux se font discrètement remarquer. Le chœur fait une brève apparition dans la scène initiale, et propose un souple croisement dans les jeux de pupitres, avec notamment des basses et ténors assez solides, malgré des aigus peu clairs chez les sopranos.
Cet opéra fait la part belle aux voix solistes, bien exploitées et en effectif restreint sur scène notamment autour des deux protagonistes féminines (les personnages d’alter-égos que sont l’écrivaine biographe Rosalba et la Grimaldi). Gabriella Reyes interprète Rosalba avec une très grande finesse. La soprano met immédiatement en place un timbre particulièrement chaud et velouté, avec des aigus au vibrato large, et une véritable puissance (tout en conservant cette aisance vocale à travers la tessiture et tout au long de l’opéra).
Face à elle, Ailyn Pérez ne semble pas à son aise scéniquement, pour incarner le rôle de la chanteuse d’opéra pourtant. À l’inverse, elle s’affirme vocalement dans sa partie technique difficile. Elle sait jouer des suraigus avec fréquence, et attaquer les aigus par le-dessus pour en assurer l’accroche, avant de les vibrer et de les arrondir (quoique certains sons craquent un peu). Le reste des notes et de la tessiture offre une sonorité en rondeur et chaleureuse. Le dernier rôle féminin est celui de Paula l'épouse pénible, interprété par la mezzo-soprano Nancy Fabiola Herrera qui joue sur les sonorités nasillardes, et une voix presque de gorge, alternant aigus criards et des parties médiums plus douces et équilibrées.
Le baryton Mattia Olivieri dans le rôle de la créature un peu étrange "Riolobo", mi-homme mi-esprit, fait montre d'une voix puissante dans chacune de ses interventions, mêlant un timbre relativement sec à une douceur dans la prise de son. Il maintient une certaine intensité dans sa voix, qui s’articule autour d’une belle chaleur, mais avec quelques inexactitudes dans l’intonation.
Alvaro, le mari jaloux de Paula, interprété par Michael Chioldi, peine à passer la fosse d'orchestre alors que sa voix sait descendre dans les graves requis. Tyler Simpson rencontre le même problème en marin, alliant ses graves à sa dynamique d’interprétation, mais manquant de puissance.
Arcadio, le marin qui voulait devenir pilote d’avion est interprété par Mario Chang. Le ténor semble un peu sur la retenue au début de l’opéra, mais laisse ensuite place à une aisance bienvenue. Très engagé physiquement, il mêle alors graves caverneux et douceur des registres, en une rondeur de timbre servant ces parties parmi les plus vocales de l’opéra. Le capitaine, remplacé ce soir par David Pittsinger, tranche un peu par une interprétation jouant davantage sur les dynamiques de prises de son, et des variations dans les vitesses d’intervention. Son vibrato est large, et s’il manque parfois un peu de puissance et d’assurance, il sait aussi installer son soutien sur un timbre plus épais.
Dans ce voyage magique, le spectateur cherchera parfois les marques plus spécifiques d’un esprit Sud-Américain (d'autant que certains chanteurs ont quelques difficultés avec l’accent). Le public de cette ville et de ce pays à l’importante communauté latino-américaine n’en retient pas moins son plaisir enthousiaste, avant même le début de la soirée, qu'il couronne d'acclamations longues et enthousiastes.
Florencia en el Amazonas sera retransmis en direct dans les cinémas à travers le monde le samedi 9 décembre 2023 (vous pouvez retrouver à ce lien la liste des Opéras aux Cinémas en 2023/2024)