La Vie Parisienne à Limoges, avec Lacroix et la manière
Au final, il faut sans doute commencer par la fin. Des jambes qui se lèvent sur scène pour une ultime ronde enfiévrée dans un feu d’artifice de couleurs et de mouvements, des applaudissements nourris en salle pour donner follement la mesure, et pour tout le monde des cœurs en joie et des envies que la fête continue, encore et encore. C’est tout cela, cette Vie Parisienne événement venue poursuivre sa longue tournée à Limoges (après sa re-création à Rouen il y a deux ans). Durant les trois heures du spectacle qui défile, le rythme y est constant et le rire omniprésent, portés par cette musique enivrante. Le Palazzetto Bru Zane donne un relief de (re)nouveau à ce grand classique de l’opérette en revenant à la version originelle abandonnée à regret par les librettistes Meilhac et Halévy avant même la création de l’œuvre en 1866. L'occasion de découvrir, en plus des tubes et airs déjà connus, des raretés comme l'irrésistible Trio des ronflements, un rondeau de Métella, et tout un ensemble de petits airs et numéros de pantomimes venant donner d’autant plus de chair à une œuvre où jamais l’ennui n’est de mise.
Plus belle La Vie Parisienne de Jacques Offenbach à Limoges
Pas d’ennui, et même une démonstration constante, qui se fait d’abord visuelle par le travail de mise en scène signé Christian Lacroix, assisté de Romain Gilbert et Laurent Delvert. Le fameux couturier, déjà connu pour ses réalisations de décors et costumes dans l’univers lyrique, admet lui-même avoir voulu sortir de sa « zone de confort » en se frottant cette fois à une mise en scène intégrale. Un décor unique aux structures métalliques à la Eiffel, un escalier en colimaçon, un ascenseur accolé à une estrade, et puis des chaises et fauteuils crapaud d’inspiration vintage, voici pour les efficaces éléments matériels d’un spectacle scénique qui repose aussi largement sur de vifs jeux de couleurs (chaudes de préférence) et sur une direction d’acteurs réglée au millimètre. Entre deux airs, et même pendant, les ficelles comico-théâtrales sont toujours tirées avec justesse et pertinence, ne tombant jamais dans la lourdeur, même lorsqu’il s’agit de voir une plume s’agiter... dans le postérieur d’un fêtard pris d’ivresse. Christian Lacroix s'exprime également et bien évidemment dans ses costumes, à vrai dire inclassables tant dans leurs styles que dans leurs époques, eux qui vont du pantalon bouffant à la veste militaire en passant par la queue de pie et la robe à paniers, en un melting-pot vestimentaire sur une scène qui croit voir passer The Mask et Arlequin entre deux défilés de mode de lingerie féminine aussi fine que loufoque (surtout lorsque portée par ces messieurs). De l’humour taillé sur mesure !
Un plateau vocal au diapason de la folie ambiante
Sur cette scène ainsi ouverte à tous les styles et (surtout) toutes les extravagances, un dense plateau vocal se met au diapason de la folie ambiante. Après son remarqué Prince pour Cendrillon de Massenet in loco la saison dernière, Héloïse Mas campe Métella en joyeuse et roublarde Cruella, au jeu de scène de femme faussement fatale, mais aussi d'une voix de mezzo au timbre chaud, avec une prestance aussi joliment colorée que large d’ambitus et de souffle. Norma Nahoun prête sa voix tout aussi sonore et épanouie à l’incarnation d’une pétillante Gabrielle, à la voix fleurie et vibrée. Le duo avec le Frick de Pierre Derhet opère une alchimie tant théâtrale que vocale, tandis que l'autre personnage (Brésilien) du ténor belge, assume son accent hispanique caricatural. Le duo formé par ces mesdames de Quimper-Karadec et de Folle-Verdure fait tout autant d'effet. La première est jouée par Marie Gautrot à la voix puissante et richement timbrée, fort à son aise dans la comique incarnation d’une dame un peu précieuse et complètement folâtre, qui frôle la crise cardiaque lorsqu’elle découvre des hommes ivres dans sa demeure devenue lieu de débauche. Quant à Madame de Folle-Verdure, tout aussi déjantée, elle trouve en Caroline Meng un mezzo au timbre de velours et à la belle rondeur d’émission.
Franck Leguérinel semble taillé pour le rôle du baron de Gondremarck, dont il fait ici un genre d’Hibernatus aux rouflaquettes extravagantes et au pantalon bien trop serré pour ne pas faire moins classe que ridicule à l’heure d’aller « s’en fourrer jusque là ». Un personnage définitivement truculent servi par des mimiques aussi généreuses qu’une voix de baryton assurée au registre grave particulièrement bien creusé, le tout lustré par une scansion d’excellente facture. Le binôme Bobinet-Gardefeu est tout aussi irréprochable d’investissement scénique et vocal, le premier étant porté par le baryton incisif et ondoyant de Laurent Deleuil, le second par la voix de ténor aisément projetée et au médium charnu de Rodolphe Briand, à son aise dans l’art du théâtre musical.
Marion Grange est une baronne pétulante maniant habilement l’art du récit chanté, avec une voix de belle amplitude sonore. Elena Galitskaya est une Pauline pareillement investie dans les registres du chant et de la comédie, avec sa projection épanouie, son jeu taquin, et des aigus ne manquant pas relief. Dans cet environnement tout en loufoquerie, les Urbain et Alfred de Philippe Estèphe sont loin de dépareiller, servis par un instrument de baryton assuré et fringant. Dans les emplois de Joseph, Alphonse et Prosper, Carl Ghazarossian donne à entendre une voix de ténor au timbre mordant assise sur un solide médium, quand Louise Pingeot et Marie Kalinine usent d’un bel entrain scénique et vocal pour servir furtivement les allègres intérêts de Clara et Bertha.
L’Orchestre de l'Opéra de Limoges est conduit par la baguette de Romain Dumas, rodé aux exigences d’une partition en version inédite dont il parvient à extraire la moelle festive et dansante, trouvant un constant équilibre non seulement entre les pupitres, mais aussi entre les instrumentistes et la scène, faisant ainsi monter la fièvre sonore jusqu’à la température requise (quitte à faire exploser le thermomètre). Homogène, frétillant, tout en mouvement, le Chœur de l'Opéra de Limoges, conduit par Arlinda Roux Majollari, est une nouvelle fois irréprochable, prenant toute sa part à la réussite d’une production haute en couleurs où le public apprécie tout autant les chorégraphies et l’élasticité des huit danseurs conviés à la fête.
Le public s’en trouve à son tour enivré, prêt à tourner et danser encore longtemps dans ce Paris ouvert à tous les plaisirs.