Lakmé et Sabine Devieilhe enchantent le Rhin
La production de Lakmé (Léo Delibes) dans la mise en scène de Laurent Pelly, dévoilée à l’Opéra Comique de Paris en septembre 2022 (là où cet opéra fut créé en 1883) et reprise le mois dernier à l’Opéra de Nice, s’installe en Alsace en ce mois de novembre le temps de 7 représentations se répartissant entre l’Opéra de Strasbourg et La Filature de Mulhouse.
Ce spectacle qui exclut tout exotisme trop marqué ou toute extravagance déplacée met délibérément au centre de l’action la jeune hindoue presque déifiée Lakmé -qui aspire à l’amour sincère et à la délivrance- et son père Nilakantha, le brahmane qui ne cherche qu’à se venger des occupants britanniques, quitte à tenir en otage voire à sacrifier sa propre fille. Cette approche, déjà détaillée dans nos précédents comptes-rendus, par sa sobriété et son évidence conquiert le cœur du public alsacien. Il faut dire que les débuts scéniques in-loco de Sabine Devieilhe (après un récital en 2021) étaient particulièrement attendus. Loin de se lasser de ce rôle interprété à de multiples reprises, Sabine Devieilhe semble comme encore l’embellir. La voix s'arrondit, marquant désormais plus de projection en salle, ce sans pour autant et bien au contraire, affaiblir la fraîcheur du timbre, la technicité déployée ou cet art de la colorature qui la caractérise. Le suraigu semble toutefois, en ce soir de première, moins souverain. Mais la beauté presque éthérée des demi-teintes et des aigus filés, du trille aussi, séduisent toujours autant car ce chant s’avère toujours habité et surtout jamais mécanique. L’incarnation du personnage s’est approfondie, conférant à Lakmé une densité et une exactitude qui trouvent leur plein épanouissement au 3ème acte, où Sabine Devieilhe bouleverse visiblement le spectateur de bout en bout.
À ses côtés, le ténor Julien Behr campe un Gérald généreux et sensible. Vocalement, hors deux ou trois aigus plus difficiles notamment lorsqu’il cherche à alléger, il déploie son timbre assez dense et d'une belle énergie -quelquefois un rien débordante- qu’il confère à ce personnage d’officier anglais partagé entre le rêve idéalisé incarné par Lakmé et sa fiancée anglaise assez prosaïque, Miss Ellen.
Pour sa part, en Nilakantha, Nicolas Courjal choisit le parti de l’autorité vocale et du déploiement de force. Il parvient sur le temps de la représentation à réguler le vibrato accentué qui affecte son chant au premier acte, mais son personnage apparaît globalement trop appuyé, trop constamment agressif.
Déjà Mallika à Paris, Ambroisine Bré prête sa voix grave et doucereuse à cette suivante attentive. Le fameux Duo des fleurs trouve les deux interprètes en parfaite harmonie de style et de sentiment.
Comme à Nice le mois dernier, Guillaume Andrieux incarne Frédéric, l’ami fidèle de Gérald, avec présence scénique, un chant net et expressif. De son côté, dans le ravissant récit d’Hadji, protecteur et amoureux de Lakmé, Raphaël Brémard trouve les accents les plus justes mis au service d’une voix de ténor lumineuse.
Dans les rôles des trois anglaises un rien caricaturales, Ingrid Perruche campe une Mistress Bentson savoureuse et de bonne facture, la soprano Lauranne Oliva -encore auréolée de ses tout récents Premiers Prix à la Paris Opéra Compétition et au 5ème Concours Voix Nouvelles- fait entendre une voix limpide et au timbre ravissant en Miss Ellen, tandis que la mezzo-soprano Elsa Roux Chamoux ferme avec une sérieuse assise le banc en Miss Rose, jeune fille surtout intéressée par la prestance de Frédéric.
Ardent défenseur de la musique lyrique française, Guillaume Tourniaire, placé à la tête de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, insuffle à la partition de Delibes toute sa passion. Sa direction vive et d’un lyrisme enlevé, ce dès les premières mesures, et cependant contrastée se met au service total de l’ouvrage auquel il confère vie et un enthousiasme permanent, ce tout en suivant avec attention tant les solistes que le Chœur de l’Opéra National du Rhin. Ce dernier, préparé par son chef Hendrik Haas, fait preuve d’une belle endurance et surtout d’une cohésion jamais démentie.
L’ouvrage, absent depuis plusieurs décennies du répertoire de l’Opéra du Rhin, fait salle comble et recueille tous les suffrages du public présent. Une ovation salue la prestation de Sabine Devieilhe.