Attila est passé, l’herbe lyrique pousse toujours à Marseille
Attila de Verdi fut créé au Théâtre de la Fenice à Venise en mars 1846, un an tout juste avant le chef d’œuvre que constitue Macbeth dans sa première version. L’ouvrage, au-delà des maladresses du livret et de ses invraisemblances, a toujours été regardé avec une certaine hauteur. Pour autant, si cette partition de Verdi ne possède pas l’unité providentielle de Nabucco ou d’Ernani et ne rejette pas les effets un peu exacerbés sinon surjoués, elle exhale comme un souffle puissant auquel il paraît difficile de résister. Les pages les plus brillantes se succèdent, que ce soit au niveau des airs et ensembles réservés aux solistes ou des parties chorales particulièrement ardues.
Attila requiert, comme plus tard Le Trouvère par exemple, des chanteurs de premier plan pour rendre pleinement justice à une musique encore ancrée dans les années de jeunesse et belcantistes, mais déjà bien plus affirmée de ton et d’expression. Bien entendu, l’incarnation d’Attila a attiré de nombreuses basses dans le passé.
Baryton-basse imprégné du répertoire romantique et féru de bel canto justement, Ildebrando d’Arcangelo possède assurément les moyens de ce rôle exigeant. La voix sonne avec majesté, parfaitement homogène sur toute l’étendue de la tessiture. Le timbre profond et généreux, les graves puissants, la projection imposante en salle, la robustesse de l’aigu et la vérité saisissante de l’interprétation fondent cet Attila, vainqueur de Rome et pourtant dupé puis assassiné par la jeune Odabella qu’il souhaitait épouser : une incarnation forte et généreuse au bilan. Le public de l’Opéra Bastille pourra d'ailleurs retrouver Ildebrando d’Arcangelo, en alternance avec le petit frère de son prédécesseur en Attila, Ildar Abdrazakov dans la nouvelle production du Don Quichotte de Massenet signée Damiano Michieletto qui sera présentée en mai/juin 2024 et sera placée sous la baguette de Mikhail Tatarnikov.
Remplaçant Angela Meade initialement programmée, Csilla Boross réitère en Odabella sa performance en Abigaïlle de Nabucco, ouvrage présenté sur la scène de l’Opéra de Marseille au printemps dernier. Soprano dramatique d’agilité, elle déploie de vastes moyens qu’elle parvient à canaliser dans les parties plus retenues, plus intimes comme au début de l’acte 2 à l’annonce de la mort de son père ainsi que dans les différentes cabalettes (petites reprises ornées). Quelques aigus sont âcres cependant et le bas de la voix ne sonne pas avec le même éclat. Mais l’interprétation globale n'en séduit pas moins.
Déjà Nabucco à ses côtés, le baryton Juan Jesús Rodríguez incarne le rôle d’Ezio -général fort vaillant dit le Dernier des Romains-, avec une force expressive peu commune et un engagement total. La superbe de sa voix de baryton corsée est d’une rare facilité, dotée d’un aigu tout en relief, conférant à ce rôle toute sa dimension et toute son intensité légitime.
Le ténor Antonio Poli fait valoir dans le rôle de Foresto, le bien aimé d’Odabella, des moyens imposants. Il possède une voix particulièrement large et incisive, riche de timbre et cuivrée. Mais la ligne de chant reste presque de façon permanente dans le domaine de la force et de la démonstration, ce qui paraît un peu dommage notamment pour son grand air "Ella in poter del barbaro-Cara Patria" qui exhale à la fois son amour pour Odabella et pour sa patrie, l’Italie.
Si la voix un rien timide du jeune ténor Arnaud Rostin-Magnin (Uldino) reste à développer, celle de la jeune basse Louis Morvan possède en germe de multiples qualités dont une autorité naturelle qui convient parfaitement aux trop courtes mesures chantées par le Pape Léon 1er. Dés son entrée, Louis Morvan -formé notamment au Conservatoire de Nantes puis au sein de la Haute Ecole de Musique de Lausanne-, s’impose par le rayonnement et la chaleur de son chant. Sa voix de basse bien construite annonce déjà de belles promesses.
Sous la baguette très aguerrie à ce répertoire de Paolo Arrivabeni, l’Orchestre de l’Opéra de Marseille se montre à la hauteur de la partition sans jamais déborder de façon ostentatoire et parvient à doser avec art les moments les plus glorieux aux pages plus subtiles voire poétiques même. De même, les Chœurs de l’Opéra dirigés par Florent Mayet remplissent leur mission, très à l’aise particulièrement dans les forte.
Le public de Marseille réserve une longue ovation à tous les artisans de cet Attila de haute tenue.