L’adolescence de Mozart et une première pour Philippe Jaroussky à Montpellier
Cela fait plusieurs années désormais que Philippe Jaroussky collabore assez étroitement avec l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie, institution dans laquelle il est d’ailleurs encore résident avec son ensemble baroque (l’Ensemble Artaserse avec lequel il a fait ses débuts de chef d’orchestre, pour Il Primo Omicidio d'Alessandro Scarlatti en version de concert il y a deux ans, ainsi que pour Jules César de Haendel mis en scène par Damiano Michieletto l’année dernière, présentés bien entendu à Montpellier, tout comme la recréation de L’Orfeo de Sartorio en juin dernier).
C’est donc tout naturellement qu’il a choisi l’Orchestre de Montpellier pour sa première fois à la tête d’une phalange instrumentale symphonique et moderne, sélectionnant ensemble un programme sur l’adolescence de Mozart qui fait parfaitement la jonction entre le répertoire de prédilection de Philippe Jaroussky (renommé dans le répertoire baroque) et celui de l’orchestre, plus habitué aux compositeurs classiques et romantiques. Le programme s’intitule « l’enfant prodige » mais Mozart avait entre 14 et 16 ans quand il composa les œuvres y figurant et déjà un beau catalogue derrière lui. De fait, s’il ne s’agit pas encore d’œuvres de “maturité”, le génie était tout de même relativement loin de ses coups d’essais.
Le programme se décompose en deux parties symétriques chacune comportant dans l’ordre : une ouverture d’opera seria (Mitridate, re di Ponto pour la première et Lucio Silla pour la seconde), un air de concert, une symphonie (n°42 pour la première et 46 pour la seconde, la numérotation des symphonies de Mozart n’étant pas chronologique depuis les diverses révisions de leur liste) et un air pour soprano issu du même opéra que l’ouverture de la partie. L’orchestre est disposé sur l’ensemble de la scène, agrémentée seulement d’un écran rectangulaire coloré à son fond. Le concert peut commencer.
Philippe Jaroussky dirige les musiciens à l'aide d'une courte baguette (il confie dans le livret de salle avoir reçu en cadeau de ses amis "4 ou 5 baguettes de chef" depuis l'annonce de ce concert dédié à Mozart). Sa gestuelle nette et franche colle à l'intention musicale et amène un certain caractère ardent tout en conservant sa précision. Habillé tout de noir de la chemise à la cravate, il maintient une posture droite, bougeant essentiellement le haut de son corps, portant une attention particulière au confort du chant ainsi qu'aux contrastes entre les différentes parties des ouvertures comme des symphonies.
L’osmose entre le chef et l’orchestre se fait ainsi dès la première ouverture et perdure tout le long du concert, basée sur la gestuelle de Philippe Jaroussky, dynamique et ponctuée par le marquage appuyé des temps forts qui vient équilibrer et surtout ancrer la virtuosité des solistes, en particulier les deux premiers violons (quasiment chantant dans le deuxième mouvement de la Symphonie n°42). L’orchestre maintient une unité aussi audible que visible par l’impeccable coup d’archet quel que soit le tempo. Il joue de nuances et de contrastes à bon escient ainsi que de la maîtrise des silences créant de véritables moments de tension. Il dessine et transforme ainsi des atmosphères notamment dans les airs, en particulier celui de Lucio Silla ou le premier air de concert « Misero me !... Misero pargoletto » qui évolue en même temps que les émotions du personnage. Cette évolution est également liée à l’incarnation par Marie Lys qui vit véritablement ses morceaux, habillée d’une robe à sequin longue et droite échancrée à la jambe. L’ambitus est important. Elle trouve avec une apparente facilité des graves prenants par leur profondeur. Elle montre une personnalité affirmée tant vocale que par ses expressions faciales. La voix est claire et ouverte. Son agilité et son souffle inépuisable lui permettent toutes les pirouettes et les vocalises comme dans l’air de concert « Se tutti i mali miei ». Sa maîtrise pertinente du vibrato s’inscrit dans l’expressivité de son chant. Elle adopte ainsi les tons idéaux pour lui conférer sa vocation dramatique, assistée par le sens artistique de l’orchestre.
Ce concert qui exploite un fin réglage technique de l’orchestre lui permettant un effet maximum de la lecture artistique des œuvres de Mozart adolescent par Philippe Jaroussky et la chanteuse Marie Lys, donne envie de se replonger et d’approfondir cette partie négligée du répertoire de ce très fameux compositeur. Il est applaudi vivement par le public de l'Opéra Comédie qui aura droit à un rappel, cette fois ci du Mozart plus tardif et plus connu. Celui de Donna Anna affligée par le report de son mariage, dans l’opéra Don Giovanni : « Crudele? Ah no, mio bene! ». Peut-être prémices d’un futur élargissement du répertoire de Philippe Jaroussky à la direction d’orchestre ? L’avenir le dira !