La Cage aux folles, paillettes explosives à l’Odéon de Marseille
L’Odéon de Marseille réalise en effet une nouvelle production dans une mise en scène de Serge Manguette. L'occasion de retrouver "La Cage aux folles", prospère cabaret de Saint-Tropez, plus chantant que jamais, tenu par Albin et Georges. Le rideau pailleté argenté se lève sur un décor festif, sans équivoque : deux posters érotiques masculins accrochés aux murs, une lampe de chevet dont le pied est un homme nu, et même une cage dorée symbolique au plafond, parmi des arcs lumineux. Les huit danseurs, quatre femmes et quatre hommes, aux costumes identiques, jupes légères, perruques colorées, évoluent joyeusement en chantant aussi quelques ritournelles.
Plusieurs chorégraphies de Serge Manguette séparent ainsi les moments clés de l’intrigue. Un french cancan acrobatique, placé sous le signe du rouge, ponctué d’interjections, rythmé par les battements de mains du public, prépare le finale.
Albin, star du show sous le nom de Zaza, se maquillant avant chaque spectacle, évolue dans ses toilettes féminines. Fabrice Todaro l'incarne et le chante d’une voix nettement articulée, au grave timbré, avec un vibrato léger. Il partage avec le reste du plateau un sens du rythme indispensable pour cette comédie animée, ponctuée de gags, jeux de mots et situations burlesques : de quoi servir le texte en français (paroles et chants alternent, amplifiés) à la fois fidèle à l'esprit de Jean Poiret, à sa version chantante et avec quelques allusions plus récentes.
Rémi Cotta, qui interprète le rôle de Georges, compagnon de Zaza, déclenche l'hilarité du public notamment dans la scène mythique de la biscotte, où il essaye d'enseigner à Zaza l'art de la virilité, même au petit-déjeuner. Georges demande ainsi à Albin une tenue de biscotte virile, qui ne ressemblerait pas à celle de Geneviève de Fontenay, mais plutôt à Stallone … et surtout Rambo (de quoi imaginer le résultat, transformant la biscotte en chapelure). Il chante sinon, “L’air du bon temps”, de manière très nuancée, avec un timbre lumineux au médium charmeur et un texte nettement articulé. La salle comble applaudit sa morale positive : “Amour, compréhension, respect de soi-même et des autres”.
Mais le personnage de Jean-Michel surgit alors en grain de sable dans l'engrenage (mécanique boulevardière toujours aussi efficace) : il s'avère en effet être le fils de Georges (quoique “maigre comme un stylo avec des cheveux”). La visite de sa promise, Anne, accompagnée de ses parents, la famille Dindon, perturbe évidemment le quotidien de La Cage aux folles. Les lieux sont alors transformés, dans une atmosphère monastique avec un virage à 180° volontairement parodique. Une grande croix en bois est accrochée au-dessus de l’escalier. Les tableaux religieux remplacent les posters érotiques (suscitant les commentaires sarcastiques plus ou moins involontaires du couple terrible : “Elle provient d’une fouille sous une pyramide du Louvre”, ou encore “La décoratrice de mère Térésa a fait son retour”).
Le rôle du fils échoit à Julien Salvia qui interprète “Il faut cacher Albin” d’une voix timbrée, à l’élocution claire, avec des passages habiles en voix de tête. La jeune Anne, incarnée par Marlène Connan, danse avec grâce près de son fiancé.
Carole Clin, plutôt légère de jeu sous une apparence austère, tient le rôle de Madame Marie Dindon, hypnotisée par les assiettes grecques aux motifs scabreux, tout en chantant d’une voix projetée, nettement articulée, dans un registre aigu.
Son mari, Edouard Dindon, interprété par Jean-Claude Calon, dirige le Parti des Sociaux Paysans Chrétiens et désire fermer les boîtes de strip-tease. Il n'en participe pas moins au chœur juste, en rythme, nuancé, expressif, avec des paroles compréhensibles, entraîné dans une étonnante euphorie collective, rejointe par Jacob et Francis.
Jacob est un personnage déjanté de domestique, roi du plumeau souvent à moitié nu, très animé. Surnommé “la grande sauvage” (d'une tape sur les fesses par Zaza), incarné par Thorian-Jackson de Decker, il ceint une ceinture de bananes, comme Joséphine Baker, chantant “J’ai deux amours”, avec justesse même dans la parodie en voix de tête.
Jean Goltier en Francis est un factotum, assumant toutes les fonctions complémentaires et utiles (notamment apporter un télégramme). Sa diction est claire, comme son investissement est dynamique.
Dès l’ouverture, l’accompagnement instrumental est tonique, alternant des passages rythmiques où la batterie joue un rôle essentiel et des phrases mélodiques chantantes, avec un piano particulièrement présent. Deux synthétiseurs assument le rôle d'orchestre, l’un réservé aux cordes, l’autre aux vents, avec une co-direction efficace et dynamique de Christian et André Mornet.
Finalement, les parents Dindon sortent discrètement pour échapper aux photographes (désireux de les immortaliser avec le célèbre couple tropézien). En échange de cette issue dérobée, ils autorisent le mariage de leur fille Anne avec Jean-Michel... un joli chant-age : ce sont bien les Dindon de la farce !
La salle de l’Odéon participe activement au finale, déployé par les danseurs et le chœur des solistes, rejoué par trois fois, scandé par les battements de mains et les acclamations des spectateurs, ravis de cette représentation jubilatoire.