Cléopâtre et Jules César, Bartoli et Vistoli et Cenčić aux Champs-Elysées
Directrice de l’Opéra de Monte-Carlo, Cecilia Bartoli sélectionne pour sa saison des œuvres et des collègues qu’elle connaît et affectionne assurément, a fortiori pour une production d'opéra ainsi lancée dans une tournée européenne. Avec ses Musiciens du Prince-Monaco, orchestre qu’elle a co-fondé avec son prédécesseur Jean-Louis Grinda, et une distribution d’excellence, la diva adorée du public charme à nouveau indéniablement le Théâtre des Champs-Élysées.
La version de concert permet d'apprécier avant tout l'interprétation musicale et la partition (avec ici quelques coupes, n'en laissant pas moins près de 3 heures de musique), rythmée par de nombreux airs de tristesse et de colère, ainsi que d'émotion, le tout porté par un jeu incarné des artistes (laissant l'imagination du spectateur bâtir son décor).
Cecilia Bartoli incarne l’irrésistible Cléopâtre avec aisance et maîtrise, tant vocalement que scéniquement : la version concertante se pare même pour elle d'accessoires, lorsqu'elle fait une apparition divine entourée de deux pages lui tenant de grands éventails en plumes d’émeu. La voix souple et expressive se déploie toujours avec autan de finesse et d'agilité mais aussi en enrichissant son timbre cuivré pour se mettre entièrement au service des émotions, avec une expressivité intense mais constante jusqu'aux tourments et à la furie. Le public l’applaudit avec engouement après chacune de ses interventions, débordant de bravi nombreux et de forts applaudissements.
Le contre-ténor Carlo Vistoli avait déjà impressionné le public du Théâtre des Champs-Élysées en interprétant Ptolémée l’année dernière sous la direction de Philippe Jaroussky, il incarne désormais Jules César. Son expression faciale très active accompagne ses vocalises vengeresses, très ciselées et virtuoses, soutenues par une grande longueur de souffle. Sa voix homogène sur toute l’étendue de sa tessiture se fait lumineuse et agréablement cuivrée dans les graves. L’intensité de son interprétation lui vaut de beaux applaudissements, aussi car il sait faire preuve d’une certaine malice dans son incarnation. Il partage ses acclamations avec le violoniste Thibault Noally dans une démonstration de virtuosité
Sextus est incarné par le contre-ténor Kangmin Justin Kim (qui s'est notamment fait connaître en "Kimchilia Bartoli" dans ses parodies de Bartoli, pleines d'amour et de talent : c'est visiblement également ainsi que l'intéressée l'a entendu, à en juger par cet engagement sur scène à ses côtés). Le contre-ténor démontre également une grande aisance scénique. Si ses graves manquent parfois, il fait preuve d’une grande subtilité dans l’utilisation contrastée de sa palette expressive avec un agréable soin du texte. Son timbre naturellement et finement lumineux sait aussi bien captiver en douceur que s'affirmer pour convaincre de son caractère.
Sa mère Cornelia (veuve de Pompée) est interprétée par la contralto Sara Mingardo, au timbre chaud, tendre et légèrement sombre pour servir ses airs, qui ne sont que plaintes et éplorations.
Max Emanuel Cenčić déploie son travail d'acteur avec une certaine retenue pour incarner le vil et prétentieux (et pleutre) Ptolémée. Vocalement, ses aigus sont bien présents et brillants. Ses nuances suivent strictement les élans de ses phrasés.
Enfin, en Achille, José Coca Loza montre une voix pleine et chaude, dotée de graves pénétrants (sur lesquels il sait appuyer un caractère vengeur).
Les Musiciens du Prince-Monaco, sous la direction de Gianluca Capuano, discrète mais faite de rectitude et d'attention, se montrent très actifs, précis et forts de couleurs contrastées. La phalange est très attentive aux chanteurs, sachant les accompagner et les porter. Les piani sont très marqués, les passages plus forts très homogènes et efficients.
L'enthousiasme du public se traduit par de longs applaudissements debout, manifestant leur reconnaissance envers la virtuosité des artistes et pour le joyeux chœur final offert en bis « Que la douce joie et le bonheur reviennent à présent dans nos cœurs. »
Si tant est qu'ils en fussent partis un instant !