Idylle amoureuse à travers le temps aux Bouffes du Nord
Le Théâtre des Bouffes du Nord avec ses murs patinés devient très aisément un salon intimiste et historique pour cet hommage à la chanson française et amoureuse, depuis l'ère baroque et jusqu'aux années 1960. La scène est aménagée le plus simplement possible, favorisant une proximité avec le public (naturellement proche de la scène dans cette salle). Une banquette de piano pour l'instrumentiste, une chaise pour la mezzo lorsqu'elle ne chante pas, un pupitre commun et des lumières sobres suffisent au décor (les projecteurs blancs et jaunes en direction des artistes ont aussi un rôle figuraliste, s'éteignant progressivement sur les mots “C’est la lampe qui s’éteint”, à la fin du titre Le premier bonheur du jour de Françoise Hardy).
L’amour, sujet central de cette soirée, s'invite ainsi à travers des titres du répertoire français soigneusement choisis par les deux artistes, qui agrémentent leurs interprétations d'explications historiques quant au choix des œuvres (y compris d'adaptations instrumentales d'Erik Satie et Robert de Visée).
La mezzo-soprano Lea Desandre incarne chacune des chansons, s'immerge dans chaque rôle (masculin ou féminin) qui lui est ainsi offert. L’acoustique de la salle permet une déclamation langoureuse aussi bien que des pointes comiques, la prononciation étant soignée et fidèle (aux différentes époques des différents morceaux et caractères amoureux). Elle sait également alterner chant et passages parlés renforçant encore la proximité engagée avec le public, créant une atmosphère intimiste déjà nourrie par la tendre légèreté de son timbre de voix. Les nuances sonores et intonations sont aussi contrastées en passant d’une douceur délicate dans le piano à des intentions beaucoup plus chargées émotionnellement dans le forte. Sa voix claire mais soutenue grâce à la profondeur de son coffre se fond pleinement au jeu de luth de Thomas Dunford sans pour autant prendre le dessus : leurs deux lignes musicales, comme leurs échanges de regards complices, témoignent de l'unité dans leur dialogue artistique.
Thomas Dunford souligne la dimension onirique du programme, ses gestes élancés permettant aux notes de s’envoler depuis la piste et jusqu'aux arches surplombant la scène. Il se laisse pleinement emporter dans son jeu se détachant des partitions (d'autant qu'il ferme les yeux, inspiré). Mais même un faux départ est l'occasion d'une petite pirouette-prouesse pour se rattraper avec une facilité applaudie. Le reste du programme se déroule sans aucune fausse note, l'interprète n'hésitant pourtant pas à explorer tout l’ambitus de son instrument en alliant les cordes graves jouées à vide avec des arpèges d’accords dans des sonorités plus aiguës. Le jeu délicat enivre aussi par ses libertés et variations de tempo.
Une pluie d’applaudissements et des rappels mènent au bis musical, les deux artistes invitant le public à les accompagner sur "Le Temps de l'amour" : ce qu'ils viennent de faire assurément durant un peu plus d'une heure, emplissant les oreilles de musiques et les cœurs de mots doux.