Surprenant Bal masqué new-yorkais au Met avec Verdi
Cette production du Bal Masqué, réalisée par David Alden en 2012, a des allures monumentales, bien que jouant justement sur les espaces et volumes pour recréer une ambiance plus intimiste sur la scène du Met. Celle-ci est comme habillée d’une sur-scène en plan incliné (dans les décors de Paul Steinberg), qui joue avec des panneaux latéraux, ainsi qu’un plafond lui aussi incliné, qui rétrécissent l’espace, comme un entonnoir dont l’embout ouvert serait le quatrième mur (vers le public). Dès le début, et ce jusqu’à la scène finale du bal qui se termine par l’ouverture de l’espace, l’opéra est donc construit par David Alden comme une boîte close, un espace fictif où les intrigues vont se nouer. Dans une perspective éminemment non réaliste, la mise en scène renonce à un quelconque contexte historique, pour jouer sur les confrontations dans un ensemble minimaliste de couleurs noires et blanches où les quelques meubles et objets d’époque (un fauteuil, un vase, etc.) surgissent sur scène comme par surprise.
Bien que cette production ne soit pas nouvelle, il s’agit de sa première représentation de cette saison, ce qui se remarque à plusieurs problèmes techniques (liés aussi à l'ambition scénographique) : panneaux qui coulissent mal, pente glissante, bruits multiples (à se demander s’ils font partie ou non de la mise en scène). Les costumes (de Brigitte Reiffenstuel) contribuent à un aspect maison de poupées, avec un mélange de tenues Belle-Époque chez les hommes, et des robes allant d’une vision moderne du conte de fées à des tenues années 1940. La mise en scène joue aussi sur les mouvements des chanteurs sur scène comme des marionnettes, illustrant peut-être ainsi la manipulation politique à l’œuvre, alors que cette production choisit de reprendre la version originale située en Suède (et non la version placée alors à Boston aux USA, pour éviter la censure).
Danseurs et performeurs surgissent sur scène pour des mouvements saccadés, avec aussi une performance dansée notamment remarquée de la part d’Oscar (joué par Liv Redpath), en ange endiablé dans la scène d’ouverture. À mi-chemin entre chute des anges et chute d’Icare (c’est justement ce que représente le plafond des premiers actes), le spectateur s’interroge sur une possible morale d’une mise en scène qui reste mystérieuse par son mélange des références (jusqu’à la scène finale du bal où se croisent, d’une manière pour le moins déstabilisante, squelettes dansants, masques vénitiens, gravure romaine en fond, entre autres).
Dans ce Bal Masqué, confrontation vocale entre les personnages du Roi, du comte Anckarström et d’Amelia, le ténor Charles Castronovo se démarque dans le premier rôle par un timbre net, qui manque d’abord un peu de puissance mais dont l’application première vient à se libérer. Il mêle ensuite chaleur et vibrato large dans les parties graves, ses aigus restant clairs, dans un chant toujours empreint de douceur.
Marquant bien davantage son jeu, Quinn Kelsey interprète le comte Anckarström tout en puissance. Le chanteur cherche malgré tout une certaine subtilité dans l’interprétation, y compris en instillant de la douceur à ses graves, mais les phrasés manquent de définition.
La soprano Angela Meade se fait plus discrète en Amelia dans le jeu d’actrice, mais la voix s’exprime immédiatement dans sa souplesse et son vibrato vif. Certains passages la voient cependant comme contrainte, retenue dans le médium avant de se libérer en déployant sa ligne vers les aigus chaleureux.
Liv Redpath fait ses débuts au Met, dans le rôle “en pantalon” d’Oscar. La technique de la chanteuse lui permet des sauts à travers la tessiture de soprano colorature, impeccablement exécutés et avec une intensité mêlée à une rondeur dans le timbre. Les aigus même agiles restent lumineux, cristallins.
Madame Ulrica Arvidsson est incarnée par Olesya Petrova, à l’aise scéniquement mais émettant des attaques vocales un peu brusques et assez surprenantes (quoiqu’elles lui permettent d’atteindre les extrémités du registre).
Les seconds rôles masculins sont plus homogènes. Christopher Job est très à l’aise en comte Horn, avec une voix aiguë jouant sur les intonations nasillardes, mais plongeant aussi vers des résonances profondes (la voix s'équilibre dans le médium-aigu).
En comte Ribbing, Kevin Short est ce soir remplacé par Samuel J. Weiser qui se montre de fait plus réservé, mais oppose néanmoins une voix intéressante à celle de Christopher Job, en jouant sur une grande rondeur dans le jeu et dans la voix. Thomas Capobianco interprète le juge dans une intervention brève mais efficace, où il propose un timbre mêlant voix de tête et résonances nasales, tout en sachant équilibrer tenue et tension. Le baryton-basse Jeongcheol Cha offre un timbre doux et charnel, presque sensuel pour incarner Cristiano, faisant écho au jeu de Charles Castronovo (une interprétation tout en légèreté, assez rafraichissante, d’autant plus que le chanteur s’amuse avec les dynamiques tant musicales que scéniques). Enfin, Tony Stevenson en serviteur fait une intervention relativement discrète mais esquissant sa puissance sonore, même en jouant sur une certaine douceur avec un timbre plutôt sec.
Le chœur est assez inégal dans ses interventions. Très flottant rythmiquement et dans l’intonation au début, avec une énonciation floue et un certain manque de puissance, il se révèle dans la seconde partie de l’opéra. Les basses retrouvent alors un jeu détaché tandis que les ténors se laissent aller à des parties plus mélodiques. Le chœur féminin reste malgré tout assez peu en place mais gagne en musicalité, et en équilibre.
La direction musicale de Carlo Rizzi est assez surprenante ici. Le chef privilégie la cohérence de la partie orchestrale, quitte à filer sans diriger visiblement les chanteurs, ce qui laisse plusieurs moments de léger écart entre fosse et plateau. L’orchestre et le chef valorisent surtout les timbres instrumentaux et un travail de solistes.
Chaque solo vocal est néanmoins chaleureusement applaudi par le public, mais qui exprime à la fin de la représentation des réactions partagées (en raison des grands écarts dans la mise en scène et entre orchestre et chanteurs).