Une Geneviève de Brabant loufoque à Nancy
Geneviève de Brabant est une opérette rarement donnée de Jacques Offenbach (cette production est d'ailleurs la seule occurrence dans la gigantesque base de données d'Ôlyrix). La musique est, comme souvent chez le compositeur, entraînante et facilement mémorisable, avec plusieurs airs très typiques du maître de l'opérette. Le livret est également fidèle à l’esprit cabotin qui le caractérise, même si l’absence de Ludovic Halévy parmi les librettistes se fait ressentir dans la moindre profondeur que le texte propose, comparé aux plus grands chefs-d’œuvre laissés par lui (La Belle Hélène, Orphée aux Enfers, La Vie Parisienne ou encore Carmen de Bizet). L’œuvre convoque la parodie (de la vie de Sainte Marie de Brabant), les jeux de mots (notamment dans l’air des éternuements dans lequel les explosions intempestives coupent les mots pour former des calembours), les imitations d’animaux (dont l’air le plus fameux, Une poule sur un mur, laisse des Cocoricos plein la tête) ou d’instruments (du cor dans le quatuor de l’acte II), ou encore les comiques de répétition (principalement liés au personnage de Pitou), d’anachronisme (la présence de Charles Martel, qui a vécu 500 ans avant la date supposée de l’action, ou bien la référence aux chemins de fer, apparus, près de 600 ans plus tard) ou de situation (le Duc jette sa toque puis se dévêt au milieu de ses courtisans).
Geneviève de Brabant par Carlos Wagner (© Opéra national de Lorraine)
Dans une version largement remaniée et allégée de sa mise en scène créée à Montpellier l’an dernier, Carlos Wagner offre à Nancy une version moderne et calibrée de l’opérette, dont il mélange deux des trois versions. Le décor unique, signé Rifail Adjarpasic, représente un lotissement de banlieue chic américaine. Deux maisons boisées se tiennent ainsi côte-à-côte, séparées par une discrète haie. Dans le premier jardin est creusée une fontaine crachant un maigre filet d’eau. Dans le second se tient une caravane qui représente la caverne dans laquelle se réfugie Geneviève à l’acte II. En arrière-plan, un feu tricolore alterne les couleurs tout au long de la représentation.
Les personnages étant nombreux et les dialogues tenant une large part dans la représentation, les interprètes ont peu d'espace vocal pour mettre en avant leurs qualités. L’aisance scénique est en revanche primordiale. Grand serviteur du répertoire d’Offenbach, Eric Huchet interprète un Duc Sifroy parfaitement benêt. Plus attentif à son jeu de comédien qu’à sa technique vocale, il joue avec malice les facéties du livret, y prenant un plaisir communicatif. Il adopte un faux-air sérieux réjouissant offrant à son personnage une crédibilité suffisante pour faire passer les énormités que lui confient les librettistes.
Eric Huchet dans Geneviève de Brabant (© Opéra national de Lorraine)
Le rôle-titre est tenu par la gracieuse Sandrine Buendia, qui présente une voix chaude et soyeuse, parfois sur-vibrée, qu’on aimerait entendre dans un rôle la mettant mieux en valeur, tant les quelques piani proposés sont émis avec une souplesse et une finesse prometteuses. Elle forme avec Clémence Tilquin (qui chantera en avril dans Orlando furioso au TCE -réservations ici), sa suivante Brigitte, un magnifique duo à l’entame de l’acte II, la voix légère de la première s’accordant parfaitement aux séduisants médiums de la seconde. Cette dernière sollicite avec agilité ses vibrants aigus qui résonnent et flamboient dans la salle de l’Opéra. Le troisième rôle féminin, celui d’Isoline, bénéficie des aigus puissants de Diana Higbee, qu’elle manie avec bien plus d’agilité que le fouet dont cette femme fatale humilie son ex-mari. Les passages sollicitant son registre médian sont en revanche plus mitigés, la voix étant alors peu ancrée, ce qui génère une lacune dans la projection.
Clémence Tilquin, Diana Higbee et Sandrine Buendia dans Geneviève de Brabant (© Opéra national de Lorraine)
Si ce n’est pas une surprise (lire par exemple notre compte-rendu des Chevaliers de la Table Ronde dans lequel il excellait l’an dernier, et qu’il reprendra à Limoges en février -réservation ici), Rémy Mathieu attire l’attention par sa voix claire et brillante, parfaitement projetée. Ses aigus au timbre élancé bénéficient de jolis effets de couverture. Il joue avec les nuances pour varier les phrases musicales de son air d’introduction et éviter leur aspect répétitif. Sa marge de progression se situe sur sa gestion du souffle, ses fins de phrases ayant tendance à perdre leur assise. Élégant dans son costume de marmiton, il joue avantageusement de son physique de jeune premier, et apporte à son personnage un grand dynamisme.
Geneviève de Brabant par Carlos Wagner (© Opéra national de Lorraine)
Dans le rôle de Charles Martel, le jeune baryton-basse Boris Grappe dispose d’un timbre profond et rayonnant, qui perd parfois son soutien lorsque le jeu scénique accapare l’attention du chanteur. Raphaël Brémard (que nous avons récemment apprécié dans My Fair Lady à Reims) interprète un bourgmestre Vanderprout peu puissant mais impliqué et proposant une diction soignée. Virgile Frannais interprète Narcisse, le poète du Duc. La mise en scène en fait un scout imbécile parlant avec difficulté d’une voix suraiguë, qui, après quelques interventions, énerve plus qu’elle ne fait rire. Il n’en est que plus frustrant de constater dans les parties chantées que le baryton dispose d’une voix puissante au timbre agréable. François Piolino campe le militaire Pitou, victime permanente qui porte une large part du comique de répétition (il se prend par exemple dans la figure la porte du jardin, auprès de laquelle il monte la garde, lors de chaque entrée de personnage). Parfait ténor de caractère, il interprète son duo de l’acte II en faisant des acrobaties à vélo, aux côtés d’un Grabuge de Philippe Ermelier tout aussi pinçant. Enfin, le comédien Jean-Marc Bihour (ex des Deschiens) est fidèle à son habituel jeu délirant et réjouissant dans le rôle du méchant Golo. Il entonne même quelques extraits vocaux, poussant alors la grandiloquence de son jeu à l’extrême.
Geneviève de Brabant par Carlos Wagner (© Opéra national de Lorraine)
Le chef Claude Schnitzler dirige avec entrain l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, se jouant sans défaut des tempi et des nuances de la partition d’Offenbach. Le Chœur de l’Opéra national de Lorraine est très sollicité, tant vocalement que scéniquement, mais pêche rythmiquement lorsque le tempo accélère, rendant alors le texte incompréhensible. Le septuor féminin qui s'en extrait pour une scène parodiant le jeu vidéo The Sims offre une performance vocale appréciable. Le public, très réactif durant la représentation, tape des mains lorsqu’est repris le tube de l’opéra (Une poule sur un mur), mais ne laisse ensuite pas le temps aux interprètes de quitter la scène pour prendre le chemin de la sortie, sans rappel supplémentaire. La saison des opérettes se poursuit ainsi joliment en attendant celles de Marseille et Saint-Etienne, dont nous vous rendrons compte prochainement.
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