Dès le premier Lied, Matthias Goerne incarne un meunier pudique, spleenétique, dans une atmosphère intimiste qui est certes aussi celle de ce cycle à la tristesse romantique, mais qui demande également les élans du jeune meunier amoureux qui soupire pour La Belle Meunière (elle qui lui préfère le chasseur, plongeant le meunier dans le chagrin et le désespoir).

Le baryton Matthias Goerne, connu pour ses tempi lents à la voix satinée et sombre, revêt le caractère d’un vieux sage désenchanté plutôt que d’un jeune homme à la candeur juvénile ignorant sa destinée tragique. L’idée d’une vision, d’un personnage naviguant au gré des soubresauts de l’âme est délaissée au profit d’une équanimité épurée.

Ce parti pris de ne pas imposer son interprétation personnelle, de déclamer un récit sobre avec une totale absence de maniérisme, concentre toute la prestation et l'attention de l'auditeur sur les qualités intrinsèques de l'œuvre, sur sa musicalité prosodique mais qui hélas est rendue peu intelligible par la ligne sombre du baryton, des consonnes torves, des respirations audibles parfois au milieu des phrases et plusieurs erreurs de texte.

Matthias Goerne n'en déploie pas moins sa voix large, opératique au timbre chaud. Le son est rond et les graves sont nourris, assurés et profonds. Pour autant, la voix manque d’homogénéité tout le long du spectre vocal notamment dans les aigus serrés qu’il n’arrive pas à atteindre (et l'extrême-grave manque de définition). Le chanteur est plus à l’aise dans les Lieder lents et dans les registres médium et grave, offrant des moments de tendresse poétique dans Morgengruß (Salut matinal) et Der Neugierige (Le Curieux) déployant alors la richesse des lignes musicales.

Le pianiste Alexander Schmalcz met en lumière les différents climats traversés par l'œuvre à la manière d’un chef d’orchestre. Il fait corps musicalement avec le chanteur dont il épouse le timbre, sans chercher des nuances plus délicates dans les pianissimi.

Le public applaudit chaleureusement les deux artistes.