Dante et Virgile en résonances musicales à Orsay
Le Musée d’Orsay et la Fondation Royaumont se sont associés depuis 2018 pour créer une Académie dédiée à l’art sensible de la mélodie et du Lied (piano-voix français et allemand). Depuis, ces lieux accueillent les quatre duos sélectionnés chaque année. Les artistes présentent des concerts dans les collections du Musée, mais aussi dans l'Auditorium : permettant d’établir un lien entre les collections picturales présentes et les œuvres musicales travaillées durant leur séjour à Royaumont.
Donnant à leur récital le titre d’"Une Saison en enfer", le duo constitué de deux artistes anglo-saxons, le ténor Ted Black et le pianiste Dylan Perez, a choisi d’évoquer le spectaculaire tableau de William Bouguereau daté de 1850, Dante et Virgile, dont la projection sur écran domine la scène (et que le public peut ensuite aller admirer, en vrai, dans les collections in loco).
L’intégralité des mélodies proposées est basée sur des poèmes d’auteurs majeurs de la veine symboliste, de Rimbaud à Verlaine, ainsi qu'à Baudelaire et plus tardivement, Paul Eluard (poésies certes postérieures à l’époque du tableau de Bouguereau mais qui peuvent traduire effectivement les liens passionnés et mortifères). Le programme musical peut apparaître un rien sévère, exigeant, sombre même (non sans résonances picturales là encore). Il réunit très majoritairement des compositeurs français comme Claude Debussy –Le Jet d’eau et La Mort des amants–, Francis Poulenc –Je nommerai ton front extrait des Miroirs brûlants et Voyage du cycle Calligrammes–, ou André Caplet et sa version du Green de Verlaine. Au sein du répertoire mélodique français, et dans cet esprit défricheur d'Académie Orsay-Royaumont, le duo explore par ailleurs des œuvres de compositeurs plus négligés comme le languedocien et régionaliste Déodat de Séverac, Charles Bordes co-fondateur de la Schola Cantorum (qui réhabilite la musique ancienne dès la fin du XIXe siècle), le très inspiré Charles Koechlin –Mon rêve familier– ou Jean Cras le marin avec Sagesse, toujours sur des poèmes bien connus de Verlaine. Josef Zygmunt Szulc, compositeur polonais formé à Paris auprès de Jules Massenet complète le tableau (musical) avec son étonnant Clair de Lune sur le texte de Verlaine et la modernité est poussée jusqu'à Louis Bessières, disparu en 2011, en premier lieu compositeur de chansons pour Yves Montand ou Serge Reggiani, et de musiques de film. Sa passion pour Rimbaud l’a amené à mettre en musique des textes du poète ardennais, dont ici Le Dormeur du val, ce avec engagement et une juste singularité.
Plusieurs mélodies extraites des Illuminations de Benjamin Britten complètent avec force ce récital remarqué pour sa richesse et sa complète maîtrise, donné sans support des partitions par Ted Black, ce malgré sa grande complexité. Formé au Royal College of Music de Londres notamment, et membre du Youg Program de l’Opéra d'État de Vienne, il y a notamment abordé cette saison Belmonte de L'Enlèvement au Sérail et son répertoire actuel est plutôt circonscrit à Mozart. Pour autant, cette voix de ténor fort stable et d’une belle longueur, dotée d’un aigu vaillant et de graves parfaitement installés devrait l’amener à aborder des rôles plus imposants. Il sait alléger quand il le faut et utiliser de façon naturelle la voix de tête. Le musicien est parfaitement en accord avec ses moyens vocaux et sa prononciation de la langue française est exempte de tout accent. Il trouve en Dylan Perez, récitaliste et chambriste déjà bien engagé en carrière, un partenaire complet et complice de chaque instant. Ce pianiste accompagnateur spécialisé dans le répertoire vocal -il a travaillé avec le grand pianiste Julius Drake ou le ténor Christoph Prégardien-, déploie des effluves sonore d’une grande sensibilité et d’une profondeur peu commune.
Le travail commun mené à Royaumont autour de la mélodie a constitué un duo de haute qualité qui se doit de perdurer dans le temps. En bis, devant l’accueil particulièrement chaleureux du public de l’Auditorium du Musée d’Orsay, Ted Black et Dylan Perez offrent une page plus légère, soit la divine mélodie Heure Exquise de Reynaldo Hahn sur un poème de Verlaine.