Stéphanie d'Oustrac : entre Baroque et Années Folles à Ambronay
Vincent Dumestre, théorbiste et directeur musical du Poème Harmonique, invite le public du Festival d’Ambronay à remonter dans le passé, pour un voyage à la fois intense et insolite : vers la période de l’entre-deux guerres, celle de la chanson réaliste, des Damia, Fréhel, et Mistinguett. Durant cette époque, la musique baroque continue aussi à commencer d’être redécouverte (avant son grand retour “baroqueux” porté par le microsillon dans les années 1950).
Le programme de ce concert-voyage proposé à Ambronay réunit donc ces deux univers, en une artiste, la mezzo-soprano Stéphanie d’Oustrac. Celle-ci incarne même ici un personnage de chanteuse, proposant au public de suivre un parcours de carrière : avec un répertoire remontant aux premiers génies incontestés de l'opéra baroque (Claudio Monteverdi, Francesco Cavalli) pour verser dans la chanson réaliste, et jusqu'au fameux tube qui donne son nom au programme, "Mon amant de Saint-Jean".
Incarnant pleinement ce programme et ce personnage, Stéphanie d’Oustrac se présente d’abord sur scène, comme gênée de sa maladresse. Aux côtés de ses amis musiciens, elle se remémore leurs débuts ensemble, leur première audition « dans la grande ville, à la salle Favart » (l'Opéra Comique de Paris), leurs succès aussi... jusqu’à ce que tout s’écroule à cause d’amours perdues ou trahies (le parcours habituel des chansons réalistes comme des opéras de Monteverdi). Les airs et les chansons s’enchaînent avec beaucoup de naturel pour servir cette histoire. Les styles diffèrent et demandent certes un court temps d’adaptation pour que la chanteuse s'y réadapte, mais c'est bien là l’effet recherché : celui de montrer des passerelles, ainsi que l'immensité du répertoire de l'artiste. La voix est aisée, intense, mais c'est plus encore la comédienne qui, par ses regards et gestuelles, captive visiblement le public. Baroque et chanson plongent dans l'intensité d'un timbre sombre, qui sait aussi se faire tendre le temps d'un illusoire espoir.
Le timbre des instruments d’époque du Poème Harmonique, un peu nasillard voire âpre et manquant de résonance dans cette salle polyvalente d’Ambronay, diversifie cependant ses couleurs sous la direction discrète de Vincent Dumestre (parmi eux et depuis son théorbe). Tous se montrent attentifs, interprétant avec soin les arrangements pour ensemble baroque, la viole de gambe étant parfois tenue comme une grosse guitare pour y jouer des accords. L’accordéon s’invite aussi dans l’effectif pour participer à ce plongeon dans l'esprit cabarets français de cette première moitié du XXe siècle.
Les bravi fusent lors des saluts, manifestant l’admiration du public pour la vitalité et la jubilation de Stéphanie d’Oustrac. Même en passant de la tenue noire d’une régisseuse à une élégante robe rouge, sans oublier la lourde robe baroque dorée : c'est sa musique, son texte, sa voie qui restent en mémoire.