Ariodante made in Arts Florissants à l’Opéra Royal de Versailles
Bien qu’ayant à leur catalogue de nombreux opéras de Haendel, William Christie et ses Arts Florissants ont abordé Ariodante il y a seulement cinq ans (nous y étions), mettant alors toute leur expérience musicale au profit de cet opéra réputé selon certains comme le meilleur du compositeur.
La marque Arts Flo c’est d’abord un orchestre de haute tenue composé d’instrumentistes fidèles, connaissant bien William Christie et répondant au plus près à ses propositions de phrasé et de tempi. L’expertise de chacun magnifie les parties orchestrales dans les suites de danses qui constituent l’une des particularités de l'œuvre. Le chef favorise le son ample et les tempi mesurés tout en agrémentant le discours d’accents et d’appuis, autant de relief régénérant le flux musical.
La renommée de l’ensemble et de leur chef, quasi mythique, ne les exempte cependant pas de vivre des aléas pouvant mettre à mal leur projet comme le fait de devoir remplacer des chanteuses à la dernière minute. Ce fut le cas au Grand Théâtre de Genève où les deux sopranos avaient déclaré forfait, et c’est de nouveau le cas à Versailles où Ana Maria Labin, souffrante, ne peut assurer sa prestation dans le rôle Ginevra et se voit remplacée par la soprano Sarah Tynan. Si la musique de Haendel ne souffre pas de ce changement, le dispositif scénique imaginé par Nicolas Briançon perd en crédibilité. L’incarnation scénique du personnage de Ginevra assurée par Elena Terenteva (assistante à la mise en espace) semble au final assez statique (sans véritable mise en scène), l’attention du public étant davantage happée par l’expressivité de la chanteuse (bien que postée derrière un pupitre devant le chef).
L'univers Arts Flo comprend également une académie, le Jardin des voix, dont le public peut entendre le niveau d’excellence atteint par les jeunes lauréats qui à cette occasion racontent les amours d’Ariodante et de Ginevra, amour contrarié par les manigances de l’affreux Polinesso (livret inspiré de l’Orlando furioso de l’Arioste).
Le chef semble couver ses académiciens avec bienveillance, une attention particulière prêtée à la mezzo-soprano Lea Desandre qui tient le rôle titre avec une aisance à couper le souffle (du public !). Si la théâtralité semble quelque peu retenue, sa technique infaillible délivre la virtuosité redoutable des airs avec l’assurance d’une acrobate. Elle préserve l’homogénéité de son timbre même lorsque son désespoir culmine dans une nuance pianissimo dans le fameux "Scherza infida", mais elle remporte surtout l’approbation du public dans son dernier air "Dopo notte", s’autorisant quelques pas de danse avec William Christie, preuve de leur étroite connivence pour le plus grand bonheur de tous.
Sa Ginevra, la soprano Sarah Tynan, bien que nouvelle dans cette production, assure sa partie avec aplomb et, si ses premières interventions souffrent de quelques imprécisions, elle gagne cependant rapidement en assurance, dévoilant une riche expressivité. Accusée a tort et repoussée par tous, elle perd la raison en même temps que son vibrato, transformant ses plaintes en cris désespérés. Elle chante néanmoins son amour gaiement en vocalises assurées préservant la rondeur vibrante de sa voix.
La soprano Ana Vieira Leite incarne Dalinda (la suivante de Ginevra) dans un placement vocal exemplaire lui permettant d’évoquer la volupté de son amour pour Polinesso dans une extrême délicatesse et de fulminer lorsqu’elle se rend compte de la trahison de ce dernier, ses vocalises et ses aigus projetés vaillamment.
Même si Hugh Cutting incarne un Polinesso plus malicieux que méchant, sa prestation demeure irréprochable tant sa voix de contre-ténor est assurée. Dalinda succombe certainement à son timbre qui allie rondeur vibrante et projection lyrique, le traître apparaissant parfois en voix de poitrine accrochée.
Le ténor Krešimir Špicer tente en Lurcanio de persuader Dalinda de son amour dans une ardeur désespérée, contenant sa voix dans des nuances de miel touchant le public. Cependant, de par son ampleur, sa voix dépare quelque peu, surtout lorsqu’il débride sa contenance, n’évitant pas une certaine raideur dans une projection saturée.
Si la voix du baryton Renato Dolcini brille sur toute la tessiture, il révèle un roi d’Écosse plus humain que puissant. C’est avec une grande sincérité qu’il se désespère à l’annonce de la mort d’Ariodante, ses pleures de vocalises touchent, et sa tendresse paternelle s’impose dans une posture et une voix réconfortantes. Il est secondé assurément par le ténor Moritz Kallenberg en Odoardo dans de brèves interventions.
L’opéra s’achève dans un double « happy end », Ariodante et Ginevra se retrouvent et le public acclame les artistes.