Lakmé d’un exotisme tranché à l’Opéra de Nice
La mise en scène signée (comme les costumes) par Laurent Pelly place cette intrigue dans un cadre d’exotisme tout en soulignant le contraste entre ces deux civilisations : hindous versus britanniques, dans une lecture à l’impeccable lisibilité, aux arêtes tranchantes, aux contrastes marqués, en noir et blanc littéralement.
Les hindous sont drapés -et même maquillés- de blanc, de pied en cape, dans une radicalité ascétique. Les Britanniques en noir, sont entre le comportement de touristes et de colons. D'autant qu'Agathe Mélinand a réécrit des dialogues parlés pour accentuer encore la trivialité de ces occupants.
Les lumières de Joël Adam, au froid pastel ou au miel de clair de lune, travaillent à leur tour les contrastes, donnant aux personnages les couleurs de la vie et de la mort.
Les décors de Camille Dugas sont d’une élégante et géométrique épure. Ils travaillent la profondeur scénique par des parois de papier, référence à l’architecture dentelée des temples Jaïn. Ils font également penser aux maisons japonaises (soit à un Orient élargi, un exotisme qui mélange les lointains). Le soleil, la lune et les étoiles sont découpés, dessinés, projetés. Les seuls accessoires sont des dispositifs qui enferment Lakmé (cage, charrette, paravents) dans un sanctuaire de conventions, de larmes et de solitude.
Cette vision scénique assume ainsi de plonger -pour la dénoncer sans doute- dans la vision simplifiée de l’histoire et des peuples qui est celle de l’exotisme, celle qui enferme les vivants.
Lakmé, habitée par la soprano américaine Kathryn Lewek (Lucia marquante in loco la saison dernière), déploie un legato envoûtant mais aussi de nombreuses échappées colorées, en trilles serrés avec souplesse (son Air des clochettes est longuement ovationné par le public). Le timbre fruité dans le médium, se fond dans des pianissimi filés. Les couleurs des différentes voyelles sont différenciées avec soin.
La Mallika de la mezzo Majdouline Zerari offre sa vocalité élastique à l’alliage équilibré entre transparence et suavité, lyrisme et intimisme.
Nilakantha (prêtre brahmane, père de Lakmé) campé par le niçois Jean-Luc Ballestra, oscille entre les tessitures de baryton pour la douceur, ou de basse pour la noirceur. Si la présence scénique colle au personnage, fièrement torse nu, l’instrument peine à produire des sonorités pleines, chantantes et imposantes (reposant parfois sur un passage en force). La projection est cependant vigoureuse, la diction de tragédien venant pallier un certain manque de legato et de pulpe vocale.
Le ténor Carl Ghazarossian en Hadji ferme la marche des personnages hindous, servant d’un timbre noble et lumineux sa présence sensible et engagée.
L’officier britannique Gérald, amoureux de Lakmé, est confié au ténor Thomas Bettinger, pleinement impliqué dans sa partition. Un certain systématisme dans la véhémence et le dolorisme affecte cependant son timbre, dès son premier air. Il trouve paradoxalement plus de naturel et d’authenticité dans le troisième acte, alors que son destin est scellé : déployant prestance scénique, longueur de souffle et puissance de projection.
Son ami, l’officier britannique Frédéric, échoit au baryton Guillaume Andrieux, au chant expressif et lumineux, jamais avare de soupirs et de coups de glotte pour asseoir la parole de l’Occidental.
En Ellen (fille du gouverneur), Lauranne Oliva offre un timbre chaud, vibrant sur les voyelles toniques, campant un personnage au punch chaudement déluré, en contraste total avec Lakmé. Rose (amie d'Ellen) a le vibrato léger d'Elsa Roux Chamoux. Son chant gracile ou gouailleur, toujours aérien, semble survoler plus qu’habiter une contrée étrangère. La Mrs Bentson (gouvernante d'Ellen) de Svetlana Lifar est une mezzo-soprano au timbre de métal cuivré, acide et incisif.
Les forces vivantes du spectacle sont dirigées par le chef canadien Jacques Lacombe, qui semble, par sa gestuelle, faire le choix de la solidité plus que de l’allant. Il déploie ainsi la vigueur du ressac à la fois riche et cohérent de la partition. L’Orchestre Philharmonique de Nice sonne comme une grande fosse caverneuse dans les unissons, un firmament peuplé d’étoiles dans les soli. Le Chœur maison produit les grandes marées sonores et les déploiements saisissants que Delibes confie à ce peuple autochtones inspirant à la fois la peur et la fascination.
Le public est visiblement conquis par cette lecture et ovationne le rôle-titre.