Les Ariettes remémorées de Magdalena Kožená à Bruxelles
Le programme réunissant les cycles composés par Debussy sur les Ariettes oubliées de Verlaine, les Trois chansons de Bilitis de Pierre Louÿs, et Cinq poèmes de Baudelaire esquisse ainsi le portrait impressionnant et impressionniste d’une époque artistique, dans le dialogue entre musique et poésie. Cet intime dialogue fin-de-siècle (composé entre 1885 et 1898) se prolonge ce soir jusqu’aux années 1930 avec les impressionnants Poèmes pour Mi de Messiaen.
La voix profonde de Magdalena Kožená, s’imprègne d’emblée de l’esprit “ariette” (petite mélodie), par une amère douceur dans le timbre de voix, avec une profondeur traduisant la nostalgie et un phrasé résonant aisément dans l’espace acoustique de cette Salle Henry Le Bœuf (œuf acoustique mais dépassant les 2.000 places). Magdalena Kožená maîtrise ainsi les antinomies (essentielles pour les poésies, mais aussi les oppositions marquantes entre texte et musique) : la chanteuse sait se faire expressive et pourtant en retrait, humble et puissante dans la projection vocale, fine et généreuse dans les touches de couleurs, entre spleen et romantique déployé. L’ambiance sereine, la douceur du climat poétique, et sa robe en cascade volatile rose tireraient même le salon impressionniste vers le boudoir de cabaret.
Ses graves peuvent recueillir les humeurs sombres des poèmes, comme creuser leur puissance, pour en faire le support d’un envol vers des aigus toujours puissants. Le pianiste Ohad Ben-Ari dialogue avec tempérance avec la chanteuse, d’un toucher léger, aérien, très senti.
Les poètes maudits (expression de Verlaine) ne le sont donc pas indéfiniment, la musique non plus, comme le rappelle ce duo d'artistes dont la précédente invitation par La Monnaie était en temps de Covid (pour une jauge restreinte à 200 personnes). Leur retour est reçu par le public avec cette concentration, cette chaleur et cette profondeur de mystère, comme épaissies par l’absence et l’attente.