Les cloches de la rentrée et de Rachmaninov sonnent à la Philharmonie de Paris
La Philharmonie de Paris attire déjà un grand monde pour cette période de rentrée musicale, et la salle Pierre Boulez fait le plein ce qui laisse augurer d’une nouvelle saison prometteuse (dans la foulée de 2022/23 que l'institution présente comme sa "deuxième meilleure saison depuis son ouverture en janvier 2015" en termes de fréquentations toutes activités confondues).
L’espace scénique lui aussi est comble, à l’effectif conséquent de l’Orchestre de Paris s’ajoutant plus de cent chanteurs du Chœur de l’Orchestre de Paris et du chœur finlandais Musiikkitalon Kuoro réunis.
L’effectif orchestral et vocal important est nécessaire pour les œuvres présentées qui mettent à l’honneur la musique russe et ses couleurs orchestrales éclatantes. Petrouchka de Stravinsky foisonne de mélodies, de danses et de chansons populaires dans des teintes crues et des transitions abruptes alors que le Concerto pour piano n°1 de Prokofiev stupéfie encore aujourd’hui de par sa modernité, son énergie martelée et sa virtuosité (un critique américain aurait écrit quelques années après sa création « Si c’est de la musique, je crois bien que je préfère l’agriculture ! »).
Contemporaine de la pièce de Stravinsky, Les Cloches de Rachmaninov ("poème pour orchestre symphonique, chœur et solistes") sont divisées en quatre parties qui correspondent aux différentes périodes de la vie et qui font entendre différents sons de cloches : les clochettes argentées de l’enfance, les cloches d’or du mariage, les cloches de bronze sonnant le tocsin terrifiant, et les cloches de fer, tel un glas, achèvent l’œuvre.
Klaus Mäkelä se positionne en grand ordonnateur de toutes ces couleurs orchestrales et, que sa baguette se révèle un pinceau fin ou une large brosse, l’équilibre est préservé. L’accentuation des phrases prime, les tempi sont raisonnables et les nuances cadrées.
Tout est sous contrôle. Le discours est limpide et l’auditoire se repère aisément à travers les nombreux plans sonores de Petrouchka au milieu de la fête foraine. Dans la pièce de Rachmaninov ses gestes semblent soulever le son pour rendre la légèreté des traîneaux glissant sur la neige alors que, concentrant toute son énergie, ses gestes s’érigent pour une convergence du chœur et de l’orchestre vers les appels de détresse saisissants de la troisième partie.
Cette semaine, @klausmakela et @ChamayouB sur la scène de la @philharmonie. © Denis Allard pic.twitter.com/PJHt7kudKn
— Orchestre de Paris (@OrchestreParis) 7 septembre 2023
Chaque pupitre de l’Orchestre de Paris a son heure de gloire révélant des musiciens de rang aguerris aussi bien que des solistes virtuoses. Les vents sont à la fête et sont félicités par le chef et acclamés par le public. Les cordes offrent un son précis et des lignes souples et les percussions ponctuent assurément le flux musical.
Bertrand Chamayou se joint à l’orchestre pour interpréter la partie de piano du Petrouchka de Stravinsky et le Concerto pour piano n°1 de Prokofiev. L’énergie transparait immédiatement dans un jeu puissant exempt cependant de toute brutalité. Le pianiste fait tantôt rugir le piano, tantôt perle son phrasé, la virtuosité de l’œuvre étant pleinement assumée. Si du public hurla d’horreur à la création, ce soir il hurle son admiration tant et si bien que le pianiste revient pour deux bis : L’Alouette de Glinka dans un arrangement de Balakirev et la valse À la manière de Borodine de Ravel, compositeur de prédilection du pianiste.
Sa virtuosité endiablée et sa modernité radicale effrayèrent les auditeurs de l'époque : le Concerto pour piano n° 1 de Prokofiev par @ChamayouB, ce soir à la @philharmonie avec @klausmakela. pic.twitter.com/u97RzURmKj
— Orchestre de Paris (@OrchestreParis) 7 septembre 2023
Les trois chanteurs solistes se joignent aux effectifs dans l'œuvre de Rachmaninov et le ténor Pavel Petrov entonne les mélodies enlevées de la partie dédiée à l’enfance. Son timbre est davantage assuré dans la délicatesse que dans la projection et s’il se révèle touchant, sa voix disparait lorsque la masse chorale s’intensifie.
La soprano Olga Peretyatko glorifie le mariage dans une plénitude vocale réconfortante. Son timbre charnu se conjugue avec une grande délicatesse de phrasé et des aigus soulevés et rayonnants. La cohésion avec le pupitre des cordes transparait dans une onctuosité sonore séduisante.
Le baryton Alexey Markov assume pleinement le dramatisme de la dernière partie, de sa voix riche et résonnante qu’il projette dans une déclamation imposante. En duo avec le cor anglais, il délivre toute la nostalgie de l’ultime mélodie et la profondeur de l’âme russe.
Préparés respectivement par Richard Wilberforce (venant juste d’entrer en fonction) et Eleriin Müüripeal, le Chœur de l’Orchestre de Paris et le Musiikkitalon Kuoro unissent leur voix afin de faire sonner Les Cloches dans une intensité idoine.
À gorge déployée ils s’élancent dans les turbulences du troisième mouvement, les voix peu vibrantes rendant un son directionnel riche en harmoniques aigus. Ils délivrent le texte en s’appuyant sur les consonnes très présentes et, en bouche fermée, participent à l’apaisement final.
La chaleur de l’accueil du public n’a d’égal que les températures caniculaires de cette rentrée et le chef et la soprano tentent à plusieurs reprises de faire patienter les applaudissements. Ceux-ci se déchainent enfin les dernières notes déposées.
Cest LE concert de la rentrée et cest encore ce soir @philharmonie Petrouchka, Prokofiev 1er concerto avec lextraordinaire @ChamayouB et les Cloches, chef dœuvre choral de #Rachmaninov avec nos ami(e)s du @Musiikkitalo Kuoro On vous attend @klausmakela @OrchestreParis pic.twitter.com/oegGagUoq6
— Chanteurs du Chœur de l'Orchestre de Paris (@ch_OrchParis) 7 septembre 2023