Métaboles hyperboliques à Vézelay
En ce deuxième soir de festival, les Rencontres Musicales de Vézelay présentent en la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay un concert dédié à leur ensemble en résidence dirigé par Léo Warynski. Les Métaboles est un ensemble vocal a cappella ici invité en grand effectif (48 voix, soit « le plus grand effectif jamais réuni dans l’histoire des Métaboles », nous avait confié le chef voici quelques semaines). Quatre pièces sont présentées, composées au XVIème, au lendemain du XIXème, aux XXème et XXIème siècles. Les années séparant ces opus n’empêchent cependant pas une certaine continuité sonore. Toutes créent des ambiances enveloppantes, hypnotiques, voire obnubilantes.
La première est le Spem in alium de Thomas Tallis. Les chanteurs sont disposés en cercle, de telle sorte qu’une partie du chœur n’est visible au public que de dos. Dans cette œuvre, où les voix entrent en imitation dans un flot à n’en plus finir, générant une multitude de couches harmoniques en un continuum en perpétuelle évolution, ce sont les artistes que le public ne peut pas voir qui s’élancent en premier, créant une ambiance mystérieuse et mystique (les chanteurs visibles restant d’abord mutiques).
D’un extrême à l’autre, Tutto in una volta a été composé en 2020 par Francesco Filidei (à qui l’on doit notamment L’Inondation créé à l’Opéra Comique). La pièce commence par un souffle : des expirations sonores créent une musique silencieuse et rythmée qui parcourt le chœur. Le public est tenu en haleine. Puis le son émerge, lointain et doux, puis de plus en plus présent, créant un moment hors du temps. Le texte de Nanni Balestrini, sur lequel la musique résonne est un poème décousu, formé de bouts de phrases en italien sans lien les uns avec les autres. Les chuintantes, émises très précisément sur les autres pièces, sont ici décalées, formant comme des étoiles filantes sonores.
Si l’arrangement de l’Adagietto de la Symphonie n°5 de Mahler présente un peu moins d’intérêt malgré la douce mélancolie qui s’en dégage, la soirée se termine par le clou du spectacle, le Concerto pour chœur d’Alfred Schnittke (si vous ne connaissez pas, c’est normal, mais ça vaut le coup de s’y intéresser !). L’œuvre est construite comme un océan choral dont le niveau monte vague après vague. L’épais nuage sonore ainsi créé est régulièrement percé de poignantes volutes aiguës. Les dissonances, très étudiées, sculptent une sonorité envoûtante et enivrante.
Tout du long du spectacle, une sorte de chorégraphie se met en place. Celle du chef Léo Warynski, bien entendu, par sa battue gracieuse et claire, qui se complexifie chez Filidei, avec un constant enchainement de mesures à 3, 4 ou 5 temps. Mais la chorégraphie, visuellement esthétique, est aussi celle des choristes qui tournent les pages de leur partition d’un même mouvement, et celui, amusant, des diapasons furtivement sortis, frappés, portés à l’oreille puis rangés par chaque chanteur à des moments différents.
Dans cette basilique, le son résonne environ cinq secondes. À la fin de chaque partie, Léo Warynski garde ainsi les mains en l’air pour signifier au public que le silence reste de la musique. Et lorsque le public suit ces indications (pas toujours hélas), de véritables moments de grâce émergent. Jusqu’à ce que les spectateurs soient enfin autorisés par le chef à extérioriser leur contentement, ce qui est fait de manière éloquente.