La Tosca de Yoncheva aux sommets, du Gstaad Menuhin Festival
Un rendez-vous placé sous le signe de l’"humilité" et du "changement". Voici le cap que s’est fixé le Gstaad Menuhin Festival & Academy face à un monde qui change à toute vitesse, à commencer par son climat dont le réchauffement va jusqu’à fissurer les imposants glaciers environnants. Mais s’il est une chose qui ne change guère, c’est bien le prestige de la programmation d’un authentique temps-fort de l’été culturel suisse et européen, qui convoque encore pour sa 67ème édition la fine fleur du monde instrumental et lyrique venue ravir un public plus que jamais fidèle au rendez-vous.
Cette soirée d’opéra de fin de festival donne à entendre une Tosca portée par un casting de choix, dont Sonya Yoncheva constitue la tête d’affiche très attendue dans ce rôle-titre qu’elle vient d’incarner à deux reprises aux Arènes de Vérone (aux côtés notamment du Mario Cavaradossi de Vittorio Grigolo) avant de le reprendre dans une prochaine tournée à Baden-Baden et au Japon.
Comme de coutume sous l’imposante tente de ce Festival, l’opéra est ici donné dans une version semi-scénique offrant à l’intrigue relief et mouvement, fut-ce sur une avant-scène à peine plus large qu’une cabine de téléphérique local, et à renfort d’objets donnant dans une sobriété de (bon) ton. Une petite table de travail et un tableau d’une mystique Madone posé sur un chevalet à l’acte I, un bureau décoré par quelques chandeliers (et un couteau) au II, un petit banc à l’acte final pour laisser Mario aller à ses rêveries : voilà de quoi cadrer l’action en toute simplicité mais non sans une certaine réflexion dans l’organisation de la scène.
Réflexion qui vaut aussi pour les peintures et images animées diffusées sur les trois panneaux géants en fond de scène (intérieurs et extérieurs de châteaux, visages s’enlaçant entre deux boules de feu, représentation du Castel Sant'Angelo), ou encore pour ces mouvements qui voient chanteurs et figurants déambuler au cœur du même du public, sans que ces va-et-vient ne s'avèrent toujours indispensables au service d’un spectacle où la mort de Mario, elle, est exécutée… en coulisses.
Dans ce décor dominé par le blanc immaculé et le rouge sang, Sonya Yoncheva ne se démarque pas seulement par la brillance de ses robes de gala : la chanteuse est comme habitée par son rôle dont les traits de jalousie, de passion et de froide colère sont restitués d'une manière désarmante. Ample et sonore, subtile et expressive, la voix s'épanouit avec l'investissement dramatique et les souffrances du personnage. Le "Vissi d’Arte" autant que la confrontation avec Scarpia sont ainsi nourris d'incarnation et de souffle.
À ses côtés, Riccardo Massi partage l’inéluctabilité du funeste destin, son Mario s'exprimant également sur le plan théâtral, avec cette manière valeureuse d’affronter la mort le torse bombé et la tête haute. Vocalement, la prestation du ténor, après un temps de mise en route, fait culminer ses niveaux de sonorité avec notamment ce "Vittoria!" venu soudain faire taire l’orage dans le ciel local. Mais ce Mario sait aussi se faire subtil et tendre, comme dans "E lucevan le stelle".
Le Scarpia charismatique d'Erwin Schrott porte le machiavélisme à son haut degré de noirceur morale. Caverneuse, toujours plus sombre en s’approchant des graves, la voix se fait toujours plus saisissante et ténébreuse en émission, à la mesure d'un personnage que le public aime toujours autant détester.
Les autres rôles sont également portés par la marque de l’engagement scénique et vocal, à l’image de Matteo Peirone dépeignant un Sacristain aussi pieux que taquin, avec une voix au solide medium. Le baryton-basse croate David Oštrek est un Angelotti au timbre incisif et à la ligne de chant emplie de prestance, avec en outre cette manière de jouer la hâte et l’épuisement. Álvaro Zambrano est un Spoletta au ténor vif de timbre, quand Gerardo Garciacano prête à Sciarrone sa voix de baryton-basse à la ligne plus soignée que démesurément sonore.
Le berger est interprété par Kim Wettenschwiller, à la voix de soprano aux traits juvéniles mais émise avec une assurance et une force de projection remarquées.
Aux côtés de sa Tosca à la ville, Domingo Hindoyan conduit les jeunes instrumentistes du Gstaad Festival Orchestra d’une direction bondissante et sportive, finissant en eau. Dès les premiers puissants accords jusqu’aux derniers feux du final, l'expressivité sert le puissant lyrisme dans une performance orchestrale saisissante de sonorité, qui sait aussi se faire plus poétique et mélancolique, emmenée par d’impeccables solos de violoncelle et clarinette. Quant au chœur du Bühnen Bern, conduit par Zsolt Czetner, qu’il soit sur scène ou off stage, sa prestation demeure irréprochable, tout en vigueur et fusion des tessitures.
Alors que l’orage s’est calmé (après avoir éclaté dans le Te Deum d’autant plus glaçant), c’est finalement une chaleureuse ovation qui vient conclure ce spectacle réitérant ses coups de foudres lyriques.