Immortelle passion selon MacLeod à Vézelay
Pour le premier concert du soir à la Basilique Sainte-Marie-Madeleine de leur édition 2023, les Rencontres Musicales de Vézelay présentent La Passion selon Saint Matthieu de Bach, chef-d’œuvre pour deux chœurs et deux orchestres. Pour jouer cette œuvre sacrée, une estrade est montée dans la majestueuse église, contre le narthex, c’est-à-dire à l’opposé de l’abside. Les artistes ont ainsi une vue imprenable sur l’impressionnant chœur de l’édifice : nul doute qu’ils y puisent l’inspiration pour nourrir leur interprétation. Les deux orchestres (issus de l’ensemble Gli Angeli Genève) sont répartis de part et d’autre de la scène, le chœur au sein duquel se fondent les solistes est positionné en arc de cercle, devant eux. Cachés au pied de l’estrade se trouvent les enfants de la Maîtrise de Dijon (durant la première partie uniquement, avant qu’ils aillent se coucher) au son angélique.
Le chef Stephan MacLeod débute la soirée devant un pupitre, à l’avant-centre de la scène, mais il rejoint bientôt l’arc des chanteurs pour officier comme basse, levant ses mains pour rester vu de tout le monde. Plus tard, il descend de l’estrade pour diriger la Maîtrise (pour laquelle un assistant reproduit sa battue le reste du temps), ou vient se positionner devant l’un ou l’autre des orchestres. Bref, bien que toujours absorbé par la musique, il ne reste pas en place. Sans que l’on comprenne bien comment, il reste cependant bien suivi par l’ensemble des artistes.
Les deux orchestres offrent globalement une lecture vivante de la partition, malgré quelques moments durant lesquels la tension retombe dans la chaleur épaisse de cette journée caniculaire (certains spectateurs s’endormant en même temps que les apôtres). À noter la présence au traverso (flûte baroque) d’Alexis Kossenko, le Directeur de l’orchestre Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie. Les deux chœurs se montrent très en place et très justes dans leurs intentions, à l’image de l’impressionnant grondement vocal qui marque les passages durant lesquels Jésus est livré puis condamné par la foule, ou au contraire la très grande délicatesse qui entoure son dernier souffle.
En plus de tout cela, Stephan MacLeod assume le rôle de Judas d’une voix puissante, sombre et charpentée, au vibrato vif et appuyé. Werner Güra chante le rôle de l’Évangéliste, d’un ténor clair et solide. Il déclame le texte en détachant chaque syllabe, avec précision. Après près de 3 heures de spectacle, la fatigue commence à l’atteindre et les graves se font plus difficiles pour annoncer que le rideau du temple de Jérusalem se déchire. En Jésus, la basse Alessandro Ravasio expose des graves soyeux aux belles résonnances et aux aigus boisés. La voix du contreténor Alex Potter a du corps, un bon soutien et un timbre rougeoyant. Il garde un visage fermé, concentré sur la gravité de son propos. Matthew Brook chante le rôle de Pierre d’une voix très dynamique, ample et ténébreuse. Il déploie son chant avec une grande conviction théâtrale.
La soprano Miriam Allan, qui remplace une autre soprano du même prénom, Miriam Feuersinger, dispose d’une voix fine et touchante avec son timbre coloré. Elle construit des arabesques musicales avec subtilité. Aleksandra Lewandowska fait démonstration de sa voix souple au délicat velours, aux aigus chauds et aux graves plus effacés. Stéphanie Guérin dispose quant à elle d’une voix aux graves mats et au léger vibrato. Le ténor Guy Cutting apporte sa voix brillante au timbre méridional (bien qu’il ne le soit pas), qui s’appuie sur une belle assise. Valerio Contaldo montre la vaillance de son sombre ténor, qui s’éclaircit dans l’aigu. Sa voix est d’une essence robuste, mais son interprétation souffre d’une trop grande attention portée à sa partition.
Après un instant de silence et de recueillement, le public acclame les interprètes. Mais il est déjà prêt à découvrir d’autres merveilles, à l’image du Klaglied de Buxtehude chanté le lendemain par Lucile Richardot sous la direction de Sébastien Daucé avec l’Ensemble Correspondances à l’église de Vault-de-Lugny. La profondeur du texte et de la musique y est portée par la voix vibrante aux reflets sombres de la mezzo-soprano, qui construit une ligne délicate. Ce concert, centré sur le Membra Jesu nostri du même compositeur, plait tellement au public que le chef d’orchestre, déjà sorti de l’église, doit se frayer un passage parmi les spectateurs déjà debout, mais encore applaudissant, pour venir présenter un second bis.