Festival de Rocamadour : gloire aux chœurs a cappella anglais
Si les Gesualdo Six viennent à Rocamadour pour la première fois à l’occasion de cette édition 2023, ce n’est pas le cas du Tenebrae Choir, déjà présent l’an dernier. Le Directeur du Festival, Emmeran Rollin, leur propose alors de jouer leur programme russe, mais cela s’avère impossible car celui-ci requiert l’ajout à l’effectif de basses profondes, alors non disponibles. Impressionné par les basses déjà présentes, il décide de présenter cette année ces œuvres aux graves si extrêmes. Or, il se trouve que l’une de ces si précieuses basses, Owain Park, est également le fondateur, directeur et membre éminent des Gesualdo Six, présenté la veille au public.
Le concert des Gesualdo Six est le premier donné par le Festival en l’église Saint-Maur de Martel, connue dans la région pour son acoustique épouvantable. Cette résonance généreuse et tourbillonnante, sans doute inadaptée à d’autres répertoires, agit comme un véritable orchestre magnifiant les voix a cappella. L’abbatiale de Souillac, où se produit Tenebrae, n’a pas ce problème : Nigel Short, le directeur de l’ensemble, l’avait déjà identifiée l’an dernier comme un endroit idéal pour son art.
Le programme des Gesualdo Six s’articule autour des complies, la dernière prière de la liturgie des heures, avec un répertoire majoritairement britannique, s’étendant toutefois d’Hildegard von Bingen (née en 1098) jusqu’à Owain Park, encore lui (né en 1993). Celui de Tenebrae explore quant à lui les trésors russes de la liturgie orthodoxe des XIX et XXèmes siècles, donnant une place prépondérante (8 pièces sur les 18 présentées) à Rachmaninov.
Les six Gesualdo sont Guy James, contre-ténor au timbre velouté transperçant les harmonies de l’ensemble, Joseph Wicks, second contre-ténor qui serait plutôt qualifié de haute-contre en France, tant il varie les registres, descendant naturellement vers la voix de ténor, Josh Cooter dont le ténor est sombre et corsé, Michael Craddock au timbre rond et clair, la plus discrète basse Samuel Mitchell, et « last but not least », le fameux Owain Park dont la voix opulente et caverneuse frappe dès les premières notes. Ce dernier, véritable couteau suisse… anglais, passe même au besoin en voix de fausset avec une aisance déconcertante. Leur interprétation ressort par la noblesse de leur diction et la délicatesse de leur projection donnant à l’ensemble la chaleur d’un doux magma harmonique, dont les chanteurs s’extraient à tour de rôle pour souligner une ligne mélodique. Dans la pièce contemporaine The Wind’s Warming d’Alison Willis, ils parviennent en créant différentes strates sonores (dont des bruitages) à peindre le mystère et la menace du vent furieux dans un paysage vaste et calme.
Le fondateur du Tenebrae Choir, Nigel Short, dirige son ensemble des deux index, chantant en playback pour mieux donner les élans et sentir les respirations. Il demeure dans une permanente jubilation, gardant un sourire réjoui aux lèvres. Le chœur alterne des pièces plutôt méditatives et de grandes explosions sonores, marquantes par leur puissance. De fait, les basses (ou plutôt contrebasses tant ils descendent dans des tréfonds invraisemblables) grasses et chaudes impressionnent par leur profondeur, et n’atteignent finalement leurs limites que dans « Nïne otpushchayeshï » extrait des Vêpres de Rachmaninov. Les autres pupitres ne sont pas en reste, formant un son très homogène et velouté.
Bien que les programmes de salle présentent les pièces par groupes prévus pour s’enchainer, des applaudissements viennent ponctuer chaque morceau. Fait cocasse, le seul moment où quelques spectateurs s’insurgent par des « chut ! », correspond au seul moment ou le Tenebrae Choir avait prévu qu’ils puissent intervenir. Les artistes réagissent cependant avec un flegme bien anglais, se regardant, fatalistes, avec un sourire aux lèvres. Mais ces applaudissements inopportuns ne réduisent en rien le triomphe que les deux ensembles obtiennent à la fin du concert, qui donnent lieu à deux ovations debout.