Répétitions de résurrections pour Adélaïde de Bourgogne au Festival Rossini
Pour cette 44ème édition du Festival, la Fondation Rossini programme ainsi trois œuvres de jeunesse du compositeur de Pesaro, œuvres rares et méconnues, dans des productions recourant à un langage plutôt moderne et se distanciant du livret. Leur point commun est aussi le travestissement des principaux rôles masculins, dans le cadre d'histoires guerrières et d'amours chevaleresques.
Tel est le cas pour Aureliano in Palmira, Eduardo e Cristina (également recensés sur nos colonnes) ainsi que pour cette Adelaide di Borgogna, opéra joué pour la première fois en décembre 1817 au Teatro Argentina de Rome (là où Le Barbier de Séville fut créé l'année précédente). Cette nouvelle édition critique (comme de coutume dans ce haut-lieu Rossinien) est réalisée par les forces conjointes de Gabriele Gravagna et Alberto Zedda (qui dirigea la résurrection discographique de cet opus en studio en 1984, tandis que Dmitri Jurowski dirigeait cet opéra in loco en 2011).
Le metteur en scène strasbourgeois Arnaud Bernard opte pour une mise en abyme : plaçant la soirée (comme) en pleines répétitions de l'opéra Adelaide di Borgogna au Festival Rossini 2023. L'originalité de ce procédé est sa structure multicouche : non seulement les spectateurs se trouvent-ils dans une sorte de miroir, mais ils sont également confrontés à un nouveau récit du spectacle (un livret parallèle) qui se déroule non pas entre les personnages mais entre les chanteurs. La trame de Giovanni Schmidt est ici encore placée au deuxième plan : la vraie intrigue se passe cette fois en coulisses, où l'interprète d'Adelberto (René Barbera) trompe -avec une jeune danseuse- son amoureuse tenant le rôle d'Adelaide (incarnée par Olga Peretyatko), qui est à son tour infidèle envers son compagnon, avec Ottone (Varduhi Abrahamyan), tandis que Berengario est un Don Juan jonglant entre plusieurs maîtresses. Les affaires privées et professionnelles se mélangent ainsi en répétition/représentation, brouillant les frontières entre "réel" et fiction.
Pour distinguer les deux mondes, Arnaud Bernard propose des décors et costumes (avec Alessandro Camera et Maria Carla Ricotti) traditionnels et flamboyants, dont la rencontre avec des éléments modernes suscite le rire du public (usage des smartphones -en costumes de scène-, port du jean et de l'armure, lunettes de soleil, etc.). Si le spectateur peut être facilement égaré dans les méandres de cette nouvelle chronique, la fin offre sa résolution : la générale du spectacle voit un dénouement heureux démêlant les péripéties amoureuses, avec décors en cartons peints à l'ancienne, meubles et costumes qui plongent dans l'époque médiévale.
Dans le rôle d’Adelaide, la soprano Olga Peretyatko fait donc doublement figure de vedette de la production (mise en abyme), d'autant que ses airs et récitatifs sont travaillés et chantés avec agilité et dextérité. L’intonation est impeccable, les aigus fins et purs, mais elle doit quelque peu forcer pour se hisser vers les sommets de sa tessiture. Les suraigus préservent toutefois volume, justesse et élasticité. En revanche, l’intensité cause une amplification du vibrato, mais qui reste plus ou moins mesurée.
Varduhi Abrahamyan interprète le rôle travesti d’Ottone le roi d’Italie avec une voix nourrie et assombrie, souveraine dans l’émission et la justesse de ton, infaillible. Les vocalises sont tempêtueuses, quoique les notes manquent parfois de clarté dans la vitesse. Même si le phrasé n'est pas toujours finement ciselé, ses moments lyriques sont entonnés avec tendresse et délicatesse, notamment les duos d’amour avec Olga Peretyatko.
René Barbera en Adelberto, au cœur de la nouvelle intrigue qui se dessine dans les coulisses, en profite pour affirmer sa présence scénique remarquée, porteuse de la comédie (bien qu’il s’agisse d'un opera seria), dans les altercations avec ses collègues, ainsi que ses affaires amoureuses (notamment une séquence de répétition avec le pianiste qui suscite le rire de l'auditoire). Son ténor est soyeux, solaire et plein de rondeur, bien affirmé dans ce répertoire. Il se démarque par la fraîcheur et l'élan de son appareil virtuose, savoureusement phrasé.
Riccardo Fassi est un Berengario séducteur, personnage tiraillé entre plusieurs maîtresses et en conflit avec le metteur en scène. Sa voix est charnue et veloutée, son émission est ample mais il ne (dé)passe pas l'orchestre dans les tutti. Les graves ont de l'étoffe mais sa partie touche souvent les limites basses de sa gamme, amincie et vibrée.
Paola Leoci en Eurice se distingue par la clarté et la douceur, dans sa projection droite et lointaine, rayonnant avec son somptueux costume du deuxième acte. Son instrument est stable et très souple, l'articulation savoureuse et nette, l'intonation cristalline sans difficultés. L'Iroldo du ténor Valery Makarov est lumineux et lyrique, chaleureux de timbre et d'un phrasé stylisé. Antonio Mandrillo dans le rôle d'Ernesto est assez net, la prosodie étant solide et la justesse en place.
Francesco Lanzillotta dirige l'Orchestre Symphonique de la Rai avec rigueur et force, vers des volumes déséquilibrés, entre la fosse et les autres effectifs sur le plateau (les crescendi orchestraux basculent parfois dans la tonitruance). Les cordes s'alignent cependant harmonieusement, avec entrain et vivacité, tandis que les flûtes (et piccolo) fleurissent le son tel un gazouillis d'oiseaux. La ligne de basse satinée et résonnante souligne bien le paysage harmonique.
Le Chœur du Teatro Ventidio Basso (préparé par Giovanni Farina) est bien coordonné entre ses sections et en bonne entente rythmique avec la fosse, cependant il n'arrive pas toujours à percer l'orchestre, surtout lorsqu'en formation réduite.
Le public acclame bruyamment l'ensemble de l'équipe artistique, y compris le metteur en scène et ses collaborateurs.