Merzouki attiré à Thiré pour une féerique Fairy Queen
En ouverture de leur Festival Dans les Jardins de William Christie, Les Arts Florissants présentent une nouvelle production de The Fairy Queen de Purcell sur le Miroir d’eau, décor enchanteur dont les splendeurs évoluent au fur et à mesure que l’obscurité s’épaissit. Ce décor est d’autant plus important que la scénographie choisie par le chorégraphe Mourad Merzouki, qui assure ici la mise en scène, est on ne peut plus dépouillée, seules trois chaises jaunes habillant le plateau. Léger et idéal pour faciliter l’accueil de la production dans les différentes étapes de sa tournée à venir, ce dispositif est aussi de fait très écologique. Pourtant, aucune lassitude ne touche le public : le spectacle étant intégralement chorégraphié, ce sont les artistes eux-mêmes qui animent la scène d’une constante évolution.
Le pari était osé car l’œuvre n’est pas la plus simple à mettre en scène. S’agissant d’un masque, la musique a été conçue comme des moments musicaux de récréation parsemant la représentation du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Les paroles n’ont pas de lien avec l’intrigue : ésotériques, elles n’ont pas non plus de narration propre. Le programme du soir ne propose d’ailleurs pas d’argument. Et qu’importe, finalement, car ce spectacle n’en a pas besoin : au fil de la soirée, le spectateur perd l’habitude de regarder les surtitres. La musique, le chant et la danse se suffisent à eux-mêmes.
En effet la chorégraphie stylisée rassemble la triple qualité d’être esthétique, moderne, et baroque dans son esprit, et donc fidèle à la musique. D’ailleurs, les corps épousent les lignes de chant et les inflexions de la partition. La performance des danseurs de la Compagnie Käfig et de la Juilliard School de New York s’approche parfois de l’acrobatie, impressionnant véritablement le public.
Chanteurs et danseurs se mêlent, tous habillés d’un costume et d’une chemise blanche dont une partie semble avoir déteint dans un bain de couleur, chacun disposant de sa propre teinte. Lorsqu’ils tombent la veste, les couleurs s’agencent et se réagencent, sculptant de beaux tableaux. Ils sont d’ailleurs rejoints par deux flûtes puis le violon solo, qui se fondent également dans cette cohérente masse visuelle.
Pour cette création, c’est Paul Agnew, co-directeur des Arts Florissants, qui dirige l’ensemble (mais William Christie officiera sur une partie de la tournée) à mains nues, s’avançant au plus près de ses instrumentistes pour les mener avec lui. La phalange offre une interprétation enthousiaste, sans la moindre chute de tension (même lorsque la partition offre un moment de pesanteur, deux airs très doux s’enchainant, presque sans mouvement scénique). Si l’humidité ambiante oblige les musiciens à s’accorder longuement, l’orchestre montre une parfaite maîtrise du plein air, offrant même aux timbales de magnifiques résonnances.
Le plateau vocal est constitué d’artistes du Jardin des Voix, cette académie liée aux Arts Florissants. Au-delà de l’interprétation de leurs airs, ces huit jeunes chanteurs dansent avec grâce et assurent les chœurs, avec déjà une précision et une cohésion très satisfaisante. La mezzo-soprano Georgia Burashko brûle les planches, par son investissement théâtral, autant que par sa voix charnue et veloutée, au vibrato perlé. Elle nuance son chant jusqu’à de très fins piani, ce à quoi parvient aussi la prometteuse Juliette Mey (à découvrir en interview). Elle assure principalement des passages mélancoliques, y apportant sa voix fine et bien projetée, son vibrato rapide et appuyé, dessinant des phrasés longs et délicats. Elle parvient elle aussi à occuper la scène de son charisme.
Ilja Aksionov dispose d’un ténor léger et frais, placé dans l’aigu. Soignant sa diction, il sculpte ses ornements en dentelles raffinées. C’est finalement habillé en robe jaune (dans le rôle mis en abîme de Mopsa, jeune femme farouche) qu’il explore ironiquement ses graves, tout à fait charpentés. Le baryton-basse Benjamin Schilperoort s’appuie sur de beaux graves vibrants, le registre haut se faisant plus discret. D’abord maladroit dans son jeu théâtral d’homme ivre qui erre sur scène, Hugo Herman-Wilson prend rapidement confiance et transforme cette faiblesse en force, intégrant son théâtre à son chant, et vice-versa. Depuis un matériau mat, sa voix offre ainsi 50 nuances de gris.
Les autres chanteurs, bien que disposant de grandes qualités vocales, sont (mis) plus en retrait en ce jour de première. Paulina Francisco dispose pourtant d’une voix pointue et pure, à l’émission intense et aux aigus veloutés. La mezzo-soprano Rebecca Leggett dispose déjà de médiums très sûrs et d’un timbre brillant. Elle construit sa ligne de chant avec subtilité. Le ténor Rodrigo Carreto dispose d’une voix bien assise au timbre fruité et au phrasé travaillé. Mais son vibrato s’élargit lorsqu’il pousse sa voix, et ses vocalises manquent parfois de précision.
Ce soir-là, le ciel est un peu couvert : les étoiles ne sont donc que sur scène. Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas et réserve de longs vivats aux artistes qu’il applaudit debout.