Voyage sur le chemin des Itinérantes à Rocamadour
La 18ème édition du Festival de Rocamadour invite le trio vocal a cappella Les Itinérantes, composé des chanteuses Manon Cousin, Pauline Langlois de Swarte et Elodie Pont, pour trois programmes et cinq concerts. Ces trois spectacles sont donnés dans des ambiances et des contextes si différents qu’il en ressort trois expériences très distinctes. L’ensemble des morceaux est puisé dans un répertoire de 160 pièces (deux arrangements, des Moulins de mon cœur de Michel Legrand et de l’Ave Generosa d’Hildegard Von Bingen étant repris dans deux programmes).
Le premier, intitulé Au fil de l’air, a lieu en après-midi, à l’ombre sous le cèdre tricentenaire et le tilleul du Château de la Treyne (lieu ayant pour seul défaut la proximité d’un parking d’où parviennent des vrombissements). Les trois chanteuses s’installent au milieu d’un cercle de transats, à proximité immédiate des spectateurs, le sourire aux lèvres, permettant un moment qu’elles décrivent comme un « instant musical / sieste / voyage ».
Le deuxième programme, Terra Mater, se fait de nuit en seconde partie de soirée, sur le Chemin de croix du sanctuaire de Rocamadour. En ce 15 août, à deux pas de la Vierge noire, le trio centre son cheminement musical sur la figure de Marie. Armées de lanternes (conçues par Julie Mahieu) dans la nuit noire, elles déambulent sur le sentier qui gravit la falaise, suivies de la grosse cinquantaine de spectateurs. Les mines sont cette fois plus graves, recueillies, telles trois ombres lumineuses et sonores. Avec le ciel pour tout plafond, les arbres produisant une coque acoustique d’un côté et la roche renvoyant le son de l’autre, les résonances évoluent tout du long, en fonction de la position des chanteuses et de celle du spectateur. En tout point, le son semble irriguer le canyon, malgré la douceur de la projection des chanteuses.
Le troisième concert, L’Heure du songe, est donné au Dolmen de Magès dans la nuit noire. Là encore, le public est installé dans des transats, le museau levé vers le ciel, qui est dégagé au début du concert, offrant une superbe vue sur la voûte céleste. Au centre, les chanteuses sont cette fois sonorisées (la lumière rouge des batteries de leurs micros, dans leur dos, étant la seule source lumineuse de ce plateau naturel) : le son est ainsi enveloppant, tout juste accompagné du chant des grillons. Mais ce soir-là, l’orage menace. Les chants du trio semblent toutefois former un microclimat : alors que les éclairs scintillent, silencieux, à l’horizon, les nuages encerclent la zone petit à petit, laissant toutefois le loisir d’apercevoir quelques étoiles filantes (Rocamadour est situé dans le Triangle noir). Bientôt, seul un cercle placé juste au-dessus du lieu de concert transperce l’altostratus, avant que celui-ci ne se referme totalement. Mais la première goutte de pluie a la décence d’attendre que le public rejoigne le parking pour tomber.
Les trois chanteuses ont réalisé la plupart des arrangements elles-mêmes, ainsi que plusieurs compositions. Les partitions sont écrites pour trois voix égales : elles prennent souvent à tour de rôle la charge de la ligne mélodique, les deux autres l’accompagnant (en construisant l’harmonie par des sons bouche fermée, mais aussi par des onomatopées voire des bruitages). Les textes mobilisent jusqu’à 16 langues différentes dans le premier concert (et 14 dans le second) : le but n’est pas là de comprendre le sens mais de se laisser imprégner par la musique, qui plane. L’interprétation est d’une précision redoutable, qu’il s’agisse des attaques, des ruptures ou des nuances subites.
Les trois chanteuses gardent un naturel pétillant, comme lorsqu’elles préviennent au moment du bis sous les étoiles que celui-ci ne dure que 3:40 minutes, afin que ceux qui veulent se rendormir ne soient pas trop déçus. Le bis en question est d’ailleurs interrompu avant la fin, la faute à un aboiement de chien venu du public (le spectacle étant en plein air) qui déclenche un fou rire chez l’une d’elles.
Leur tenue de scène comporte un haut et un pantalon (« pour avoir une silhouette active ») évoquant l’Orient. Des cordes sont nouées à leur ceinture, convoquant tant les bateaux des explorateurs que la tenue monacale. Des parures évoquent des cottes de mailles, renvoyant au Moyen-âge et à Jeanne d’Arc, avec une forme géométrique différente par chanteuse (lignes, cercles, triangles).
Finalement, les applaudissements conclusifs, bien que toujours mérités, viennent rompre brutalement un charme délicat, en particulier dans les concerts de nuit. Très disponibles, les chanteuses se mettent à disposition des spectateurs à l’issue de chaque concert, afin de répondre à leurs questions dans un climat convivial.