Baroque, Brexit & Spinosi au Dinard Opening Festival
Pas de programme de salle mais c’est sans importance pour le public puisque Jean-Christophe Spinosi prend la parole pour tout expliquer, à commencer par une absence de répétition préalable, plusieurs musiciens étant arrivés quelques minutes avant le concert, suite à un retard de 6 heures du TGV en provenance de Paris. Une certaine excitation règne sur le plateau alors que le public manifeste son soulagement de ne pas voir le concert retardé ou même annulé !
Baroque, Brexit & Cie est une « folie musicale » qui rend hommage aux amis et voisins anglais, une histoire en musique allant du XVIIème au XXème siècle. Le programme est construit autour de musiciens anglais comme Purcell mais aussi ceux qui ont trouvé la gloire en Angleterre tel Haendel, sans oublier Vivaldi pour rendre hommage à l’Italie, source d’inspiration pour bon nombre de musiciens, dont Haendel. Pas moins de trois œuvres de Vivaldi révisées à la sauce Spinosi sont inscrites au programme (soit à peu près la moitié du concert) prouvant que le chef reste avant tout fidèle à son compositeur préféré, Brexit ou pas ! Ce programme est en outre complété par des chansons emblématiques de la pop anglaise dont Imagine (Lennon), Eleanor Rigby (Beatles) ou encore Amazing Grace (John Newton).
Selon Spinosi, l’Angleterre a davantage métissé les musiques, effaçant les barrières entre classique et populaire. Il en profite pour parler de son Académie récemment créée, ayant pour objectif d’accompagner de jeunes artistes dans l’exploitation de ce répertoire à la fois savant et populaire. Elle s’appelle "Académie Haendel Hendrix", clin d’œil au fait que ces deux musiciens ont vécu dans la même maison jumelle à Londres à 250 ans d’intervalle.
Musicalement, Spinosi s’amuse : le Brexit n’est qu’un simple prétexte à un show bien rodé. Pour cela, il réunit un orchestre hybride constitué de cordes, guitare, clavier et batterie, sans clavecin et instruments du continuo, encerclé de deux ensembles vocaux mixtes. Le premier, d’inspiration dite classique, composé de huit chanteurs du Chœur de chambre Mélisme(s), le deuxième formé d’un quatuor vocal, sonnant gospel et soul music.
Ces deux chœurs se répondent par séquence tout au long du concert pour instaurer une « bataille de chœur » quelque peu surprenante. Le choix d’œuvres à double chœur chez Vivaldi devient alors cohérent et justifié (reprenant le principe de polychoralité de la Basilique San Marco à Venise). L’absence de continuo permet de faire swinguer les cordes dès la première œuvre du concert : le Lauda Jerusalem où les deux chœurs se répondent sans trop de fantaisie pour commencer, excepté un cri collectif avant le départ du chœur et la présence d’une percussion à la fin de l’œuvre. Le Dixit Dominus (Haendel), devenu Brexit Dominus, reste dans cet esprit, claquement des doigts en plus pour le second chœur.
Même s’il affirme que les anglais sont les rois de la pop music, le programme prend plutôt le chemin de l’Amérique avec le gospel, la soul music, le rythm and blues, un savant mélange épicé que Spinosi maîtrise en maître de cérémonie, en meneur, en show man.
Dans le Beatus Vir (Vivaldi), il affirme ne pas avoir touché une seule note, mais en avoir ajouté quelques unes : de quoi en perdre un peu son latin dans le déroulement de l’œuvre faisant se succéder des épisodes musicaux variés, parfois loufoques, toujours dans un esprit joyeux. Il n’hésite pas à inclure une allusion au groupe Queen avec les paroles « Galileo magnifico » extrait de Bohemian Rhapsody (Galileo étant le nom de Jésus Christ dans la Rome antique), et à interrompre le déroulement de l’œuvre par une battle entre rap et chant lyrique, lui-même assurant la partie rap avec dérision. Le texte latin est remplacé par des onomatopées, des solos de scat. Le groove s’installe peu à peu aux instruments permettant aux chanteurs une souplesse et liberté d’improvisation : tout en gardant sa précision, il reconnaît qu’il lâche prise car c’est son dernier concert avant ses vacances.
Du côté Mélisme(s), ici chœur baroque, la soprano Marie Roullon de sa voix claire, pure aux aigus faciles assure les solos du Lauda Jerusalem. Le ténor Marlon Soufflet raconte avec sincérité, un sens du discours assuré par une diction précise et une voix claire et bien timbrée, l’histoire d’Eleanor Rigby. Armel Le Dorze fait entendre à plusieurs reprises dans de brèves interventions une voix de basse aisée aux graves profonds. L’ensemble des chanteurs proposent une version frémissante du cold choir (King Arthur, Purcell) légère, précise, nuancée malgré l’amplification nécessaire à un concert en plein air.
Côté Matheus, chœur gospel, Jean-Jacques L'Anthoën, breton et membre également de Mélisme(s) prête sa voix affirmée et timbrée de baryton pour un extrait du Messie de Haendel. Malgré une diction mordante exprimant bien la rage, sa voix présente des aigus incertains et des vocalises pas toujours fluides au début de l’air. Il semble gêné par le micro qu’il gère mal avec la lecture de sa partition, gêne qui se ressent moins pour King Arthur où il conduit progressivement l’air vers une dramatisation poignante du texte aidé par un orchestre à l’écoute et nuancé.
Ismaïl El Mechrafi, jeune ténor d’origine marocaine, vit aujourd’hui en Bretagne et fait aussi partie du Chœur Mélisme(s). Charismatique, un peu crooner, il prête sa voix au timbre clair, aisée, légèrement vibrée, homogène sur les différents registres avec un passage en voix de tête facile pour interpréter Imagine ainsi que le bis, We are the champions (Queen).
Par sa double formation franco-américaine, la soprano Emilie Rose Bry s’imprègne aussi bien d’un air d’opéra (elle est aussi claveciniste et flûtiste de formation) que d’une chanson. Elle illustre parfaitement cette mixité savant/populaire. Même si la ligne de chant est épurée dans Lascia ch’io pianga (Haendel) elle est émouvante par son timbre de voix coloré, riche en harmoniques. Dans Amazing Grace et Summertime (Gershwin) la voix s’épanouit avec des aigus brillants, un ambitus ample associant des graves vibrants et un medium nourri. Elle rayonne, notamment lorsqu’elle dévoile son talent de vocaliste face au rappeur de service.
Enfin, Nina Maestracci assure la partie de deuxième soprano de sa voix légère aux aigus faciles, assurant une improvisation en scat remarquée dans le Beatus vir.
Les voix de ces quatre chanteurs s’associent harmonieusement pour assurer les parties du chœur dit gospel, frappant des mains ou claquant des doigts. Le concert se termine sur We are the champions du groupe Queen. Ce soir, les champions, ce sont Spinosi et sa bande de musiciens et chanteurs, récompensés par une longue standing ovation de la part d’un public venu en grand nombre.
[#DinardOpening] ? ?????? ?? ?????? - ???????? ??????? ? Le festival s'est terminé sur le concert de l'Ensemble Matheus ! Un concert grandiose où joyaux baroques se sont mêlés à des pépites pop ? © Jean Enders ? https://t.co/ZELi2IDxOl pic.twitter.com/d4OrVDOJz3
— Ville de Dinard (@Villededinard) August 9, 2023