Le Festival de la Vézère paie sa tournée d’Élixir d’Amour
Une bonne dose de potion magique pour se remettre d’aplomb et se rafraîchir les idées. Au lendemain d’un poignant Rigoletto, il fallait sans doute cela au public du Festival de la Vézère, à nouveau massivement réuni dans la grange du château du Saillant, pour profiter pleinement d’une deuxième belle soirée d’opéra. Place donc, après le drame verdien, au bien plus gai Élixir d’Amour, opéra giocoso dont la troupe Diva Opera se régale à restituer toute l’essence comique mais aussi poétique, dans cette histoire d’un amour longtemps contrarié entre Nemorino et Adina mais où les sentiments finissent évidemment par triompher.
Une œuvre empreinte de légèreté, et dont l’intrigue nourrie par le quiproquo se trouve ici servie à merveille par la mise en espace où quelques objets de mobilier (tables, tabourets et brouettes) décrivent sans mal l’univers de la paysannerie, ce qui vaut aussi pour les robes et vestes tout en sobriété dont sont affublés les personnages. Pour les costumes (signés Charlotte Hilier), Belcore et Dulcamara sortent toutefois du lot, le premier avec son accoutrement gris et bleu de sergent commandant des soldats armés de fourches, le second avec son costume et son haut de forme d’un vermeil éclatant disant déjà tout de l’excentricité du rôle. Quant aux mouvements, ils sont encore une fois réglés au millimètre, avec des va-et-vient entre coulisse et scène qui se font au cœur même du public, avec ces manières d’acrobates qui permettent aux personnages d’esquisser quelques pas de bourrée sur une scène pas plus large que quatre barriques de coteaux de la Vézère alignées. Un exploit dans l’exploit !
Haut en couleurs, le plateau vocal l’est également. Tereza Gevorgyan se fond avec aisance dans les habits d’une Adina fraîche et enjouée, à qui la soprano prête ici son timbre fleuri et sa voix joliment vibrée s’étendant de graves chauds jusqu’à des aigus aisément projetés.

Une paysanne tout en spontanéité qui a donc tout lieu de séduire. Le Nemorino de Huw Ynyr ne s’y trompe pas, qui joue d’une même jovialité, la candeur en plus, pour tenter de charmer l’élue de son cœur. Et ce avec une voix de belle tenue sonore sur l’ensemble des registres, avec une volonté évidente de parer la ligne de couleurs les plus expressives. À ce titre, la grande romance du rôle est ici un joli moment de tendresse, même si le mezza voce y est employé avec trop de retenue.

En Belcore à la moustache bien taillée, Jean-Kristof Bouton se distingue à nouveau par son charisme et son énergie, tant sur un plan scénique que vocal. Son sergent, au pas plus grossier que cadencé, prête bien souvent à rire par ses manières de surjouer l’autoritarisme et de feindre l’indifférence quand Adina en vient à l’éconduire. Quant à la voix, des plus épanouies, elle se fait mordante et d’une chaude rondeur avec une émission facile.

Grotesque, mais au fond si drôle, le Dulcamara de Matthew Hargreaves l’est tout autant, avec sa voix de baryton-basse bien creusée assise sur un solide médium, et cette diction tourbillonnante dans le plus pur style buffa. Quant aux manières de persuader tout son monde que son élixir dispose bien de pouvoirs surnaturels, elles sont ici si convaincantes que le public se laisserait bien tenter illico par une petite dégustation.

Enfin, et bien qu’ayant assuré la veille une Gilda énergivore, Gabriella Cassidy campe une guillerette et folâtre Giannetta, dont l'auditoire apprécie encore toute la lumière d’un soprano plein de relief.
Par ses manières de jouer des soldats et des paysans plus vrais que nature, le reste de la troupe montre pour sa part que, dans cette joyeuse équipe, l’art fort maîtrisé du chant lyrique se conjugue aussi avec un réel sens de la théâtralité et de la comédie.
Un spectacle réjouissant en tous points, donc, et dont l’entrain permanent doit aussi beaucoup, une nouvelle fois, à la maîtrise technique de Bryan Evans derrière le piano qui semble réunir cordes, cuivres et percussions à lui tout seul. À la fin, comme à son habitude, le maestro éteint la petite lampe surplombant sa partition et, comme toujours, s’ensuivent les applaudissements nourris d’un public ivre de bonheur après avoir consommé cet élixir décidément magique.
