Le Hollandais chantant à Bayreuth
Pour sa troisième année sur la Colline, cette mise en scène est à nouveau dirigée avec incandescence et brio par Oksana Lyniv, première cheffe de l'histoire du Festival. Le plateau réunit à nouveau Elisabeth Teige et Georg Zeppenfeld mais c'est bel et bien le Hollandais de Michael Volle qui retient une attention toute particulière.
Le décor de ce Vaisseau fantôme puise dans un imaginaire composite, à mi-chemin entre les références réalistes et l'abstraction d'un jeu de construction pour rendre l'atmosphère pesante d'une petite bourgade située quelque part dans un Nord protestant, scandinave ou hanséatique. Sans jamais la montrer, tout l'art de Tcherniakov est de faire référence à la mer comme élément psychologique qui façonne intérieurement les personnages, tel ce Steuermann (Timonier) pilier de bistrot en combinaison de marin et la foule des choristes dont le spectateur devine rapidement qu'ils travaillent tous au service de Daland, l'entrepreneur local. La mer sert également d'horizon narratif à ce film noir qui semblerait inspiré d'un roman de Jon Fosse ou d'un film de Lars von Trier. Le Hollandais navigue sur un océan trouble où se croisent le traumatisme de la mort de sa mère et le désir de vengeance. Tcherniakov rend d’emblée lisible certains éléments du drame proposé, comme par exemple ce jeu muet pendant l'ouverture permettant de saisir la relation que sa mère entretenait avec Daland avant que celui-ci ne la répudie et dresse contre elle la population de la ville en la poussant à commettre un suicide.
D'autres éléments resteront cependant dans l'ombre, mais créant un jeu fascinant de transparence et d'opacité : qui est cet homme sur la photo que Senta extrait de la poche de Mary ? Y a-t-il un lien de parenté entre le Hollandais et Senta ? Pourquoi Daland souhaite-t-il se débarrasser de Senta et surtout à quoi pense Mary, si troublée dans la scène des présentations à l'acte II ? Une chose est sûre : le Hollandais cherche par tous les moyens à se venger et Senta lui sert d'instrument de châtiment. Ses hommes de main interviennent contre la population en incendiant la ville tandis que le Hollandais tire dans le tas.
Coup de théâtre à la toute fin, Mary fait irruption et abat le Hollandais d'un coup de fusil, fin brutale qui met un terme à tout espoir de rédemption et qui réduit au silence celui qui aurait pu parler et compromettre la mère de Senta.
Vocalement, ce Hollandais volant brille par la présence –devenue trop rare– de Michael Volle dans le rôle-titre. Le baryton allemand retrouve le succès de son Sachs dans la production des Maîtres Chanteurs par Barrie Kosky. Le phrasé impeccable, sa clarté et son élégance sonnent comme une leçon de chant à chacune de ses interventions (par exemple lorsqu’il module l'intensité émergeant d'un murmure comme un rêve qui remonterait à la surface de la conscience).
Pour la deuxième année, Elisabeth Teige est une Senta dont l'énergie et la ligne se conjuguent pour donner au personnage une stature de prima donna adolescente. Les montées à l'aigu sont remarquablement maîtrisées, avec une tension et une impatience qui porte toujours la phrase vers l'avant.
Georg Zeppenfeld est fidèle à son poste dans un rôle de Daland qu'il connaît parfaitement. La projection rend pleinement ce mélange ambigu de bonhomie et de méchanceté, dessinant les angles dans ses interventions par les qualités de timbre et le souffle.
Nadine Weissmann n'offre plus tout à fait le format et la technique qui donneraient à Mary l'assurance de son Erda. La surface vocale est limitée et fait entendre une couleur qui parfois se dérobe.
Tomislav Mužek succède à Eric Cutler en Erik, réussissant vocalement à passer l'obstacle d'un personnage victime de son statut d'éternel amoureux transi, notamment grâce à un vibrato énergique et élégant. Le Steuermann d’Attilio Glaser est physiquement et vocalement très à son aise dans un rôle qu'il assure pour la troisième année avec ses qualités de souffle et d'abattage.
Le Chœur du Festival retrouve l'unité et les couleurs qu'il n'avait pas tout à fait la veille dans Götterdämmerung. L'impact et la robustesse des entrées sont parfaitement en phase avec la complexité des mouvements de foule, projetant et modelant les interventions avec une belle puissance.
Oksana Lyniv tire du drame une carrure et une fluidité qui ne laisse jamais retomber la tension. Sa lecture alterne les climats sans hésiter à faire entendre un jeune Wagner aux prises avec les influences de Carl Maria von Weber et l'opéra italien.
L’accueil très enthousiaste du public ne laisse aucun doute sur la qualité d’une soirée réunissant tous les ingrédients du succès.
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