Le Crépuscule des dieux - Siegfried dans sa piscine à Bayreuth
Attaché dans Götterdämmerung comme dans les épisodes précédents à modifier les éléments de la dramaturgie par des idées parfois intéressantes mais privées de relations entre elles et ne constituant pas de ligne directrice, Valentin Schwarz propose de donner une descendance au couple Brünnhilde - Siegfried. Le rideau se lève sur une scène de divorce où l'enfant est laissé à la garde de la mère. Le spectateur comprend progressivement que l'enfant incarne cet anneau dont cherche à s'emparer Hagen (lui-même associé à l'Or du Rhin sous les traits d'un Hagen enfant capturé dans Rheingold).
Les trois Nornes déguisées en spectres venus inquiéter les rêves de l'enfant offrent une vision plus profonde que celle consistant à forcer le trait pour montrer la dégénérescence de la famille des Gibichungen (humains, descendants du Roi Gibich). Gunther et sa sœur Gutrune promènent leurs profils pathétiques de riches héritiers qui passent leur temps à siroter des cocktails dans un intérieur au luxe tapageur. Hagen arbore le même t-shirt et casquette jaune qui l'identifiait déjà dans les épisodes précédents, avec une sobriété de jeu censée traduire un potentiel intellectuel supérieur aux deux autres. Siegfried est accompagné par un figurant jouant le rôle du fidèle cheval Grane. Sans explication très claire, cet homme-animal sera massacré en coulisses par Hagen tandis que sa tête tranchée servira de trophée comme dans une série télé violente. La disparition du philtre ne rend pas plus lisible la scène où Siegfried se prend d'un amour éperdu pour Gutrune et décide d'accompagner Gunther chez Brunnhilde. La brutalité de la scène très explicite entre Siegfried et Gutrune est rendue scabreuse par la présence de l'enfant qui joue à côté avec un cheval miniature.
Le trio de la vengeance est d'une confusion qui pourrait même parfois prêter à rire tant le jeu d'acteur varie entre absence et outrance, avec un chœur sagement rangé à l'arrière et arborant des masques rouges de Wotan avec casque ailé. Et finalement le Rhin est remplacé par une immense piscine abandonnée au fond de laquelle Siegfried apprend à pêcher à sa fille (Valentin Schwarz remplace ainsi la scène de la chasse par une scène de pêche, sans vraiment justifier au passage la présence des trois Filles du Rhin, passablement avinées et décaties). Hagen tue Siegfried en lui assénant un coup de poing américain dans le dos sous les yeux incrédules de choristes semblant sortir d'une fête nocturne. Il ne restera plus à Brünnhilde qu'à se lancer dans une immolation où elle joint le geste à la parole en s'aspergeant d'essence, avant de se raviser, pour finir en tenant contre elle la tête tranchée de Grane…
Le public se tourne donc, à l’évidence, vers les voix, à commencer par le Siegfried d'Andreas Schager dont l'engagement fait oublier quelques fatigues vocales (le ténor autrichien remplace Stephen Gould et enchaîne en trois jours consécutifs Siegfried, Parsifal et Le Crépuscule des dieux). La palette est réduite dans des aigus parfois écourtés comme le fameux Hoiho! Hoiho! Hoihe!, mais impossible de ne pas saluer la vaillance et l'abattage d'un interprète véritablement Heldentenor.
Catherine Foster connaît parfaitement ce rôle de Brünnhilde qu'elle a chanté dans la production précédente de 2013 à 2017. Elle sait aussi économiser sa voix pour mieux la faire surgir dans les moments les plus exposés. Le souffle soutient des aigus longs et effilés, avec une couleur générale qui ne manque pas de séduire dans la scène finale.
Le finlandais Mika Kares succède à Albert Dohmen en Hagen. Si le choix est avantageux sur le plan de la vigueur du timbre et la noblesse de l'expression, le relatif manque dans le registre grave pourra laisser circonspect dans un rôle aussi exigeant.
Olafur Sigurdarson en Alberich lui dame le pion sur le plan du jeu d'acteur et la présence en scène, maître de ses moyens vocaux dans la façon de rendre le caractère et la virulence du personnage avec une projection remarquée. Le Gunther de Michael Kupfer-Radecky ne décolle pas d'un grain assez terne et lesté par une prononciation erratique, avec, en Gutrune, Aile Asszonyi dont les aigus étroits sont entravés par une projection en berne. Des faiblesses bien étrangères à la voix de Christa Mayer dont la Waltraute rivalise d'autorité et de tenue dans les teintes sombres dont elle agrémente son émission.
Les trois Nornes restent dans une gamme intermédiaire où les effets et les nuances manquent passablement malgré les efforts de Claire Barnett-Jones et d'Okka von der Damerau mais dépareillés avec le timbre trop fruste de Kelly God. Les trois Filles du Rhin souffrent également d’un manque d’expressivité avec la Woglinde d'Evelin Novak, les problèmes d'intonation de la Floßhilde de Simone Schröder et l'étroitesse de ligne de Stephanie Houtzeel (Wellgunde). Préparé par Eberhard Friedrich, le Chœur n'a pas cette année son impact et sa présence ordinaires, faute d'une couleur générale suffisamment dense et habitée.
Pietari Inkinen ne se départ pas d'une direction qui fait la part belle au volume et ne cherche pas suffisamment à nuancer en s'adaptant aux individualités du plateau. L'équilibre général est mis à mal par quelques erreurs dans les interventions du cor solo, tandis que d'une manière générale, la ligne est trop uniforme et dépourvue de relief.
Retrouvez sur Ôlyrix nos 7 comptes-rendus au Festival de Bayreuth 2023, ainsi qu'une série complète sur Classykêo