Siegfried ou le mystère de la pyramide à Bayreuth
Prenant pour principe le fait de faire disparaître les éléments qui structurent le livret de la Tétralogie, Valentin Schwarz n’en reconstruit malheureusement pas pour autant une autre ligne dramaturgique suffisamment lisible et efficace. La difficulté est d'autant plus flagrante dans Siegfried, qui exige une mise en scène soutenant efficacement l’action (qui peut sinon avoir tendance à faire du surplace comme dans l'acte III). Jouant la carte du héros turbulent et potache, Valentin Schwarz passe son temps à montrer les turpitudes d'un Siegfried occupé à découvrir les joies adolescentes de l'alcoolisation et de l'érotisme bas de gamme (jusqu’à le montrer se frottant à un poster de playmate en double page pour calmer ses ardeurs dans le duo avec Brünnhilde).
L'éducation défaillante de Mime se réduit à un jeu où l'enfant est contraint de passer son temps au milieu de poupées représentant les différents protagonistes de la saga des Nibelungen. La fête d'anniversaire qu'il organise tourne rapidement au cauchemar avec l'arrivée du Wanderer qui vient jouer les trouble-fêtes. Le deuxième acte est probablement le moment le plus cohérent, avec Fafner en vieillard agonisant dans un grand salon, et à ses côtés l'Or du Rhin sous les traits du jeune Hagen. L'acte III retombe dans les travers des idées incongrues avec une Brünnhilde momifiée qui sort d'une pyramide aux parois de verre évoquant immanquablement celle de la cour carrée du Louvre…
Tomasz Konieczny poursuit en Wanderer la même direction que son Wotan, usant d'un instrument dont la puissance est toujours mise en avant au détriment d'un raffinement et d'une nuance d'expression. Privée de ces caractéristiques, la ligne vocale impose une brutalité hors-propos qui impressionne les spectateurs capables de s'affranchir d'une prononciation problématique. Bien plus en forme et techniquement mieux doté, l'Alberich d'Olafur Sigurdarson confirme qu'il est l'un des meilleurs interprètes de cette édition 2023. Le baryton islandais possède à la perfection l'art de traduire la noirceur d'âme et la vilenie du personnage par la maîtrise de la diction et de la projection.
Tobias Kehrer offre à Fafner un format vocal très confortable, avec une solide assise dans le grave et un beau phrasé, là où Okka von der Damerau se montre curieusement assez distante, peu contrastée et trop courte de ligne dans le rôle d'Erda. Un an après, Arnold Bezuyen n'est toujours pas plus convaincant en Mime, faute d'un timbre étoffé et inventif.
L'Oiseau de la Forêt est chanté par Alexandra Steiner qui semble vocalement sur ses gardes, attentive à réussir ses pirouettes dans les aigus et négligeant une bonne part des autres registres. Daniela Köhler campe une Brünnhilde assez droite de ligne et de volume, hiératique de voix et de corps dans une scène où l'enjeu pour elle est clairement l'endurance, au détriment de la caractérisation et du théâtre.
Andreas Schager lui oppose un Siegfried très brut de décoffrage, avec des élans et une projection qui surlignent l'aspect juvénile voulu par la mise en scène. Si la couleur n'a pas la séduction des grands soirs, le public ne peut que s'incliner devant autant de débordement d'énergie et d'enthousiasme.
La direction de Pietari Inkinen peine à soutenir efficacement le plateau, préférant faire se mirer dans un miroir sonore un orchestre simplement volumineux et trop peu expressif. Le manque de couleurs des cuivres et des cordes ne contribue évidemment pas à lever les doutes de la scénographie.
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