La Tempête marie musiques anciennes et jazz en Limousin
Le mariage de passion et de curiosité qui animent Simon-Pierre Bestion et sa Compagnie La Tempête, les mènent à expérimenter des formes musicales nouvelles (chroniquées sur nos colonnes). Lorsque leur attirance les porte vers la musique allant des XIe au XVIe siècles mais aussi vers les couleurs des harmonies et des timbres jazz, le musicien et la Compagnie invitent alors à explorer leur improbable rencontre : dans ce programme intitulé « Color », et dans un nouveau lieu original, du Festival du Haut Limousin (basé à la Ferme de Villefavard) : dans la Halle aux grains de la ville du Dorat. C’est donc là que résonnent l’École de Notre-Dame, Josquin Desprez (c. 1450-1521), John Bull (c. 1562-1628) mais au son d’instruments divers : piano, saxophone, clarinettes, cornet à bouquin, duduk, batterie, voix...
Visuellement plongé dans ce nouvel univers par des lumières colorées, chaudes, et mettant en valeur chacun des musiciens lors de leurs interventions, l’auditeur doit néanmoins habituer son oreille à ces alliages. La démarche est certes didactique, les premières mesures faisant entendre distinctement la mélodie originale, mais déjà teintée d’harmonies étonnantes. Le répertoire ancien est ainsi joué de manière jazzy, mais l’individualité des timbres instrumentaux met du temps à s’exprimer, davantage à dialoguer, davantage encore à contribuer au collectif (un enjeu qui réunit précisément ces répertoires séparés par les siècles, presque par un siècle de moins qu’un millénaire à leurs extrêmes). L’agilité instrumentale et stylistique des interprètes, la cohérence oxymorique du projet font toutefois bientôt pleinement leur office, avec une extrême attention mutuelle des interprètes, une complicité patente. L’aspect lancinant et répétitif de certaines œuvres invite naturellement à l’improvisation et aux alliages instrumentaux croissants.
La soprano Amélie Raison s’aide du microphone pour partager ainsi la tendresse de ses mélodies, de sa voix caressante (notamment Triste plaisir de Gilles Binchois), après une délicate introduction de Simon-Pierre Bestion au piano. La chanteuse sait se faire également intense et déchirante (pour Parfons regretz de Josquin Desprez) et, doublée par le ney – flûte persane jouée par Quentin Darricau, ses mélismes paraissent hors du temps, souples et voluptueux.
Les rythmes chaloupés, plaisamment décalés voire exubérants apportent un caractère dansant, faisant la joie des spectateurs, qui frappent aussi des mains, manifestant avec enthousiasme leur plaisir devant cette rencontre surprenante, étonnante et détonante de deux époques (pas si) lointaines.