Voyage musical de l'Europe aux USA, en partant de l'Empéri
C'est donc un grand voyage musical qui est proposé pour célébrer et prolonger ce long chemin déjà parcouru. Comme pour donner la bénédiction au grand voyageur dans son point de départ Hexagonal, l’harmonium résonne dans dans la Cour Renaissance du Château de l’Empéri, tenu par l’organiste de Notre-Dame de Paris, Olivier Latry en dialogue avec le pianiste Éric Le Sage dans des duos virtuoses et expressifs de Camille Saint-Saëns et César Franck. Le fascinant harmonium (petit buffet en bois, lointain cousin de l’orgue, dont l’approvisionnement en air est généré par deux pédales à utiliser avec dextérité) est aussi associé au quatuor à cordes Agate dans les bagatelles de Dvorak offrant un premier élargissement européen au voyage.
Le voyage et l'Amour conduisent vers le Sud et l'Atlantique : en Espagne avec le programme Porque existe otro querer (« parce qu’il existe un autre amour ») de la mezzo-soprano Marina Viotti et du guitariste Gabriel Bianco (chroniqué sur nos deux sites : Ôlyrix et Classykêo). Ce mélange d'œuvres françaises et espagnoles, savantes et populaires, exprime un crescendo émotionnel durant cette partie du concert. La voix ronde de la mezzo franco-suisse au texte parfaitement compréhensible évoque avec expressivité le départ des marins en mer. Un léger vibrato élégant et d’imperceptibles changements de tempi mettent en relief le texte. Les graves sont timbrés, le souffle soutenu permet un decrescendo délicat, sur une note forte dans l’aigu. La complicité des interprètes s'exprime pleinement dans ces arrangements du piano vers la guitare réalisés par Gabriel Bianco, qui offre également une pause apaisante, escale sur un tendre récif, avec une Gnossienne de Satie : moment de grâce où le public retient son souffle pour écouter cette interprétation délicate, expressive, avec toute sa palette de nuances, des motifs en écho et une résonance finale du dernier accord hypnotisante (dans cette belle acoustique de cour et de mur de pierre).
Marina Viotti se relève alors, élégante, dans sa robe rouge carmin, une fleur de même couleur dans les cheveux, pour chanter avec feu le répertoire emblématique de chansons populaires de Manuel de Falla, utilisant un ambitus large et les techniques vocales requises (tel le Cante Jondo, chant profond, du fond de gorge, qui participe à l’effet dramatique). Ce récital dans le récital, chant-guitare, se termine dans la joie et un pas de danse de la chanteuse.
Mais la route est encore longue jusqu’aux USA, et la Rhapsody in Blue de George Gershwin interprétée par le pianiste Albert Guinovart qui alterne avec Frank Braley (lui pour un Tchaïkovski cristallin) avec le Quatuor Ellipsos. Ces quatre saxophonistes ont beau avoir des allures cool en chemises à fleurs, leur pratique musicale n'en est pas moins rigoureuse, impeccable et en osmose à tous niveaux : rythmique, nuances, précision dans les départs et… swing.
Quant aux trois fondateurs, Eric Le Sage au piano, Emmanuel Pahud à la flûte, Paul Meyer à la clarinette, ils entonnent une tarentelle complice, virtuose, expressive et joyeuse, avec beaucoup d'entrain et d'exigence, dans ce plaisir d'être ensemble.
Le spectacle se termine tard, dans une euphorie collective : battements des mains et des pieds, bravos criés par les uns et les autres en un bonheur partagé.
La soirée se finit alors dans le calme des saxophonistes, qui chantent, mezza voce, en quatuor vocal, un gospel, affirmant la joie de vivre.