Festival Symphonies d’automne : « Les lauréats du Concours font de belles carrières »
David Hurpeau, quel est votre parcours ?
Mon parcours s’est structuré autour de trois chocs artistiques très forts : la première fois que j’ai entendu les Suites pour luth de Bach jouées à la guitare, mon premier concert d’orchestre symphonique et ma première écoute de Rendering de Luciano Berio : ce sont ces moments-clés qui m’ont donné envie de devenir guitariste et chef d’orchestre. Avant même la fin de mes études, j’ai pris un premier poste de direction musicale, pour deux orchestres hybrides, réunissant musiciens amateurs et professeurs. J’ai ensuite rejoint Châteauroux, où j’étais Directeur du Conservatoire et de l’Ensemble instrumental de Châteauroux. À Mâcon, j’ai pu ajouter une troisième casquette puisque j’y dirige le Conservatoire, que je suis Directeur musical de l’Orchestre symphonique et Directeur artistique du Festival Symphonies d’automne. C’est un territoire intéressant, un carrefour situé sur la ligne Dijon-Chalon-Mâcon-Lyon, à 1h30 de Paris, très proche de la Suisse. J’essaie de créer de la porosité entre ces trois missions : le festival permet de valoriser la pratique amateure du Conservatoire, en lien avec le monde professionnel représenté par l’Orchestre.
Quelle est l’histoire de ce festival ?
Les Symphonies d’automne ont été fondées en 1993 par Jean Fonta, qui a aussi créé l’Orchestre Symphonique de Mâcon en 1992. Nous fêterons donc les 30 ans de l’association qui gère le festival en 2023. À l’origine, il s’agissait d’un concours à destination des orchestres de jeunes et du chant lyrique. Très vite, il s’est concentré sur le chant lyrique, puis s’est construit un festival autour du concours, qui a pris de plus en plus d’ampleur avec la participation des chorales du territoire, la création de spectacles et la mise en place de partenariats.
Quel est aujourd’hui son ADN ?
Il y a une volonté d’excellence et d’exigence très forte, notamment à travers le concours qui a vocation à faire émerger de jeunes talents. Nous voulons les promouvoir et les accompagner : nous essayons d’aider nos lauréats au-delà du concert. Il y a un côté très familial, à l’image de la vie mâconnaise, où l’on aime bien être ensemble et partager de bons moments. Ce concours est mené par des passionnés et des bénévoles : il y a une dynamique très forte.
Comment présenteriez-vous votre projet ?
Mon projet repose sur trois axes principaux. Le premier est l’ouverture à tous les publics, avec une programmation pour les enfants dès trois ans, notamment grâce à de nombreux liens avec les écoles, jusqu’au monde adulte, notamment amateur et mélomane. Le deuxième est l’élargissement des horizons esthétiques, notamment grâce à des partenariats, comme avec Crescent, un club de jazz mâconnais, ou La Cave à musique dans le domaine des musiques actuelles. Nous nous intéressons aussi aux esthétiques contemporaines : Mâcon Symphonies commande des mélodies françaises à des compositeurs depuis de nombreuses années. Nous disposons aujourd’hui d’un catalogue de 130 mélodies. Le troisième axe est le rayonnement du Festival à l’international. En effet, le concours accueille des candidats et des membres du jury venus du monde entier. Dès la prochaine édition, nous mettrons aussi en avant un pays invité. Cette année, il s’agira du Kazakhstan.
Quelles autres évolutions envisagez-vous pour l’avenir ?
L’association Mâcon Symphonies, qui porte le festival, retravaille son projet associatif, en lien avec le projet artistique que j’ai mis en œuvre, afin de se positionner sur son territoire avec un certain nombre de valeurs, à travers un manifeste. Le soutien à la jeunesse en fait déjà partie, mais nous y spécifierons la place que nous souhaitons prendre dans les quartiers prioritaires, notamment en allant vers les publics éloignés de la culture. Cela passera probablement par un élargissement des activités de l’association tout au long de l’année, et pas seulement sur le temps fort du festival.
Justement, l’évènement le plus marquant du festival est son concours : qu’a-t-il de particulier ?
D’abord, sa finale est accompagnée par l’Orchestre Symphonique : ça a toujours été un élément d’attractivité. Ensuite, il y a le fait que les épreuves allient mélodie française et airs d’opéras. Enfin, nous mettons en valeur des créations contemporaines chaque année. Nous aurons cette année comme président du jury une figure emblématique du monde de la musique, Yann Ollivier [ancien Directeur général d’Universal Music Classics & Jazz France et Fondateur d’Artmedeo, ndlr], ainsi qu’une marraine, Jeanne Gérard, qui est une ancienne lauréate : elle aura pour mission de guider et conseiller les lauréats après le concours, dans leur approche de la vie professionnelle.
Vous citiez les commandes passées pour ce concours : comment décririez-vous le répertoire ainsi constitué ?
Certaines partitions ne sont pas encore éditées. Ces commandes ont pourtant été passées auprès de compositeurs importants, à l’image de Fabien Waksman, qui est lauréat des Victoires de la musique classique 2023 : nous participons ainsi à l’émergence de jeunes compositeurs. Nous avons d’ailleurs enregistré un CD avec des œuvres d’Isabelle Aboulker, Thierry Escaich, Richard Dubugnon, Éric Tanguy et Laurent Petitgirard. Nous disposons aussi de mélodies de Guillaume Connesson, Régis Campo ou encore Graciane Finzi. Valoriser ce catalogue est un élément important de mon projet.
Que sont devenus les anciens lauréats de ce concours ?
Nombreux sont les lauréats qui ont fait de belles carrières, à l’image de Marina Viotti qui a remporté les Victoires de la musique classique cette année, mais aussi d’Alexandre Duhamel, Gaëlle Arquez, Alexia Cousin, Anaïs Constans ou encore Marine Chagnon.
Comment les inscriptions se déroulent-elles ?
Tout chanteur âgé de moins de 35 ans peut postuler. Nous ferons une pré-sélection sur vidéo car nous recevons généralement un grand nombre de candidatures. Il y a ensuite des quarts et des demies finales. Une fois l’inscription validée, les candidats sont invités à choisir deux airs parmi la liste proposée, pour la finale avec orchestre à laquelle seront conviés six finalistes.
Quels changements avez-vous souhaité y apporter ?
À l’occasion de la prochaine édition, nous aurons pour la première fois une marraine, afin de mieux accompagner les lauréats. Le jury a été profondément renouvelé afin qu’il soit très représentatif du monde professionnel : il réunira des directeurs d’opéra, des chanteurs et des représentants de la presse spécialisée [Damien Dutilleul, Fondateur d’Ôlyrix, sera membre du jury, ndlr]. Les mélodies étaient jusqu’ici chantées avec piano lors de la finale : les deux finalistes de la mélodie chanteront cette fois avec orchestre. La liste des propositions d’airs, qui n’avait plus été revue depuis une dizaine d’années, a été profondément retravaillée. À cette occasion, nous avons d’ailleurs ajouté des airs pour contreténors et contraltos, qui n’étaient pas proposés jusqu’ici.
Le festival se tiendra du 7 au 19 novembre : pourquoi avoir choisi de mettre le Kazakhstan à l’honneur ?
C’est un pays encore assez méconnu, en plein essor économique et qui a une poésie et une histoire culturelle très intéressante. Nous bénéficierons ainsi de la présence du Forte Trio qui interprètera une création avec les musiciens de l’Orchestre Symphonique de Mâcon dans le cadre du festival. Une création tissera une passerelle entre nos deux cultures, par le partage d’un moment artistique et musical. Nous aurons également un partenariat avec L’Embobiné, un cinéma d’art et d’essai, pour notre soirée d’ouverture le 7 novembre : nous y mettrons un film du Kazakhstan à l’honneur. Un acteur ou le réalisateur du film devrait être présent.
Pouvez-vous nous présenter la soirée Aida du 12 novembre, qui constitue la pierre angulaire du festival ?
La place des chorales amateures est l’une des grandes questions qui m’ont animé à mon arrivée. Il y a une pratique chorale très forte à Mâcon : nous accueillons cinq chorales qui viennent pratiquer chaque semaine au Conservatoire. Ce lien avec ce public est important pour nous. Le projet Aida invite tous les choristes qui le souhaitent à intégrer le "Chœur opéra" constitué pour l’occasion, et à venir travailler sur la Scène nationale de Mâcon, avec décors et costumes, et accompagnés par un orchestre professionnel en fosse. Afin de le rendre accessible à tous, il s’agira d’une forme revisitée, légèrement raccourcie, avec narration en français. Nous avons rencontré une vraie adhésion à ce projet, puisque nous avons déjà 85 choristes inscrits.
Nous aurons un autre moment important pour les chorales, avec le concert Polyphonies d’automne le 18 novembre, qui réunira six chorales. Puis, le lendemain, elles chanteront un air à la fin de la finale du concours avec les finalistes et l’Orchestre symphonique.
Qui sont les trois solistes qui interprèteront l’œuvre ?
Ce sont des solistes professionnels. Mâcon est une terre comptant de nombreux chanteurs lyriques. C’est ainsi Marilyn Clément qui interprètera le rôle-titre : c’est une chanteuse lyrique du territoire qui s’occupe du "Chœur opéra". Elle s’est entourée pour l’occasion d’Elena Sommer en Amnéris, une mezzo-soprano de la région lyonnaise, et de Georges Wanis dans le rôle de Radamès.
Vous vous investirez beaucoup personnellement dans ce festival, en tant que guitariste et en tant que chef d’orchestre : quels seront ces évènements ?
Ce sera en effet une semaine assez sportive. Au-delà d’Aida et du concert avec Forte Trio que j’ai déjà évoqués, il y aura une soirée très particulière le 16 novembre, qui s’intitulera Divins accords : un concert-dégustation associant cinq mets, cinq vins et cinq créations. Ce sera une soirée lyrique puisque le baryton Yann Toussaint offrira une dégustation musicale, que nous accompagnerons avec le Trio Talisman [dans lequel David Hurpeau joue de la guitare, ndlr].
J’attends aussi bien sûr avec beaucoup d’impatience la finale du concours, lors de laquelle je serai à la tête de l’Orchestre pour partager un moment avec les six finalistes. Je pilote également le premier concert, Les Aventures du Petit Charles, avec le Dodécabone, un ensemble de trombonistes que je dirige. Nous ferons avec six musiciens un spectacle qui sera participatif, puisque les enfants chanteront un air à la fin du spectacle. Nous le donnons dans les quartiers, notamment prioritaires, de la ville de Mâcon, en temps périscolaires et en centres de loisir : j’ai tout de suite eu l’idée de le connecter au festival. L’idée est en effet là encore de toucher des publics que nous n’avons pas l’habitude de rencontrer. Cet ensemble de trombones peut provoquer des chocs émotionnels forts pour des enfants qui parfois n’ont jamais rencontré de musiciens professionnels en vrai.
Quelle est l’identité de cet ensemble ?
Le Dodécabone est un ensemble de 12 trombonistes qui se sont rencontrés lorsqu’ils faisaient leurs classes au CNSM et qui sont quasiment tous aujourd’hui en poste dans des orchestres français ou étrangers. Nous nous réunissons pour des projets un peu spécifiques, afin de faire connaître cet instrument dans son plus haut niveau. Je travaille avec cet ensemble sur un projet artistique spécifique, qui comprend la mise en valeur patrimoniale (nous avons fait des concerts dans des abbayes pour valoriser les lieux), notamment via des concerts itinérants. Nous jouons également une création d’un concerto pour 12 trombones et orchestre, qui décoiffe le public.
Dans le même esprit que ce spectacle participatif, il y aura aussi un Conte musical, La pêche au bonheur le 10 novembre : de quoi s’agit-il ?
Cela fait partie des opérations pensées pour le très jeune public : les 3-6 ans ou les 6-10 ans, avec des séances scolaires et une séance tout public le samedi 11. Ce sont des jauges très petites, 30 personnes maximum par séance, mais avec l’objectif de réunir des publics très différents.
Il y aura aussi une masterclass et deux conférences : pouvez-vous nous les présenter ?
C’est une manière de multiplier les possibilités d’interaction entre les spectateurs et le monde professionnel. La masterclass de chant lyrique sera donnée par le baryton Yann Toussaint à destination de nos élèves du conservatoire. C’est l’occasion pour nos élèves de croiser des artistes et des pédagogues d’exception, et de lier le festival à l’objectif du conservatoire de valoriser la filière d’apprentissage de la voix. La conférence de Pierre Thilloy Enlacer les mots & les notes permet à un public non initié de venir découvrir la création contemporaine : le public qui vient depuis 30 ans a donc déjà pu avoir beaucoup de belles rencontres avec des compositeurs importants. C’est aussi un temps où toutes les classes de création et de formation musicale du conservatoire sont invitées à venir à la rencontre d’un artiste créateur. Nous aurons enfin cette année un partenariat avec la médiathèque de Mâcon et la librairie du Cadran Lunaire : notre président du jury, Yann Ollivier, viendra y dédicacer son roman En attendant Boulez, qui est une belle porte d’entrée dans le monde de la musique classique, car c’est un ouvrage très accessible, avec beaucoup d’humour.