Parsifal en réalité virtuelle à Bayreuth
L'édition 2023 du Festival de Bayreuth s'ouvre avec une nouvelle production de Parsifal signée de l'américain Jay Scheib et placée sous la direction de Pablo Heras-Casado. Cette première est marquée également par une innovation technologique avec l'utilisation de lunettes qui permettent d'accéder à une réalité dite "augmentée". Seuls 15% du public -soient 300 personnes situées sur les trois dernières rangées- ont accès ce soir-là à cette technologie (officiellement pour des raisons techniques, mais les coûts et problèmes budgétaires sont notables à Bayreuth comme partout). De fait, ces paramètres créent un hiatus entre les enjeux recherchés par le metteur en scène et l'accès à cette augmentation visuelle.
Ces lunettes ne sont pourtant pas un simple accessoire dont certains auraient pu redouter le caractère "gadget" et le Festival de Bayreuth est logiquement un lieu idéal où ce genre d'expérimentation doit être proposé – Wagner lui-même ayant cherché par tous les moyens (y compris techniques) à développer dans son Festspielhaus l'écrin idéal pour ses œuvres et l'immersion du public. L'écueil ici, tient plutôt à la faible plus-value des images 3D qui trop souvent, se superposent à la scène réelle en se contentant d'illustrer, par un symbole montré en boucle.
Ainsi, ces arbres qui se multiplient à l'infini dans Montsalvat et cette nature omniprésente avec mammifères, insectes et les incontournables cygnes et colombes. La réalité augmentée offre parfois des explications que le spectateur privé de lunettes devra aller chercher dans le programme de salle comme par exemple toutes les allusions au pillage et à la pollution de l'environnement (déchets plastiques et exploitation des terres rares), ainsi que les conséquences (la lance de Parsifal épousant la forme d'une goupille de grenade, les guerres pour le contrôle des territoires, etc.).
L'arsenal visuel proliférant ne dépasse pas les limites d'une mise en image à la lisibilité assez didactique avec chevaliers-ouvriers, Kundry sauvageonne et pécheresse, Filles-Fleurs costumées en smoking rose Barbie et… Graal-cristal qu'on devine issu d'une exploitation illégale et que Parsifal brise à la toute fin, reprenant le contrôle sur les hommes et le monde.
Le plateau vocal est dominé par les débuts in loco d'Elīna Garanča, remplaçante de luxe (d’Ekaterina Semenchuk) dans le rôle de Kundry qu'elle maîtrisait déjà à Vienne en 2021 dans la production de Kirill Serebrennikov. Sa présence en scène remarquée se double d'une expressivité et d'une maîtrise qui séduit immédiatement et visiblement l’assistance. Alternant graves gutturaux et aigus effilés, l'instrument se déploie sur l'ensemble des registres, lui donnant une ampleur qui irradie tout le deuxième acte. Capable de rendre la complexité du personnage par les nuances et la couleur du timbre, elle s'assure l'enthousiasme mérité du public.
Autre “remplaçant” de haut de gamme (de Joseph Calleja) et Parsifal aguerri, Andreas Schager trouve naturellement ses marques dans une production où il ne cherche pas à jouer des coudes pour imposer son talent. Moins Heldentenor qu'à ses habitudes, la voix ne force pas au II dans l'affrontement avec Kundry, préférant se préserver pour le dernier acte où il donne au “Nur eine Waffe taugt” (seule la lance peut guérir) une intensité où la brillance de l'aigu se double d'une belle assise dans le medium.
Déjà présent dans la production précédente d’Uwe-Eric Laufenberg, Georg Zeppenfeld ne force ni son talent ni ses moyens pour livrer un Gurnemanz de grande qualité. La surface vocale couvre l'ambitus sans effort apparent, avec au rayon des regrets, une expressivité en deçà de ses capacités ordinaires. Le souffle n'est pas en défaut mais la ligne n'a pas la liberté de projection entendue dans ses différentes prestations.
Derek Welton est un Amfortas sans le mordant ni les reliefs dans la voix qui signent la présence d'un interprète investi par un rôle qui exige profondeur et compréhension dramaturgique. Le timbre est d'une amplitude et d'une densité très honnêtes mais le vibrato appliqué exprime une souffrance d'apparat qui ne tarde pas à disparaître dès lors que la concentration prend le dessus.
Le problème est assez identique pour le Titurel assez terni de Tobias Kehrer, qui ne semble pas se départir d'une personnalité vocale somme toute bonhomme et nonchalante, sans effort notable pour gagner en originalité dans un rôle assez court. Le Klingsor très noble d'expression et de phrasé de Jordan Shanahan tranche avec la figure démoniaque trop souvent proposée. Les deux chevaliers Siyabonga Maqungo et Jens-Erik Aasbø se démarquent par un phrasé précis et sensible, là où les écuyers manquent singulièrement de projection, à l'exception notable de Betsy Horne et Margaret Plummer. Parmi les Filles-Fleurs se démarque la grâce et la facilité de la française Camille Schnoor, avec le timbre légèrement pincé d'Evelin Novak. Contralto aérien, Marie Henriette Reinhold phrase admirablement les mots avec lesquels elle conclut le premier acte.
Préparé par Eberhard Friedrich, le Chœur du Festival de Bayreuth réalise des prouesses dans les scènes terminales aux actes I et III. L'équilibre des voix se satisfait d'un placement en scène parfois problématique, à l'exception de quelques minimes décalages dans le cortège accompagnant Titurel.
En fosse, la direction de Pablo Heras-Casado alterne de beaux moments avec des trouées assez grises où l'ennui ne tarde pas à percer. L'Acte I pèche singulièrement par l'impression de ne pas vraiment savoir comment déployer une ligne générale qui pourrait faire tenir debout tout l'édifice. Pris entre les vapeurs émollientes d'une spiritualité qu'il souhaite de toute évidence associer à des tempi lentissimi et décomposés (première apparition du Graal), la battue retrouve des couleurs au deuxième acte – bien aidée il est vrai par la présence du couple Parsifal-Kundry qui assure l'essentiel des péripéties dramaturgiques et vocales sur scène. Le dernier acte est l'occasion pour le chef espagnol d'élever le niveau dynamique de l'orchestre, notamment dans l'Enchantement du Vendredi Saint qui reste l'un des meilleurs moments de la soirée.
Le public fait un accueil généreux au plateau et à la direction, tandis que l'équipe de mise en scène reçoit quelques huées immédiatement couvertes par une salve d'applaudissements.
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