Bouquet de saveurs, de notes et d’artifice aux Flâneries musicales de Reims
Comme pour chaque édition, les Flâneries musicales de Reims se referment sur un grand évènement populaire : le concert pique-nique qui rassemble cette année près de 14.000 spectateurs (payants). Le Parc de Champagne, qui accueille l’évènement, semble le lieu idéal : par sa configuration, d’abord, sa grande piste d’athlétisme qui se mute en parterre étant entouré de pentes herbeuses qui constituent les parfaits balcons naturels de cette salle de musique en plein air ; par son nom ensuite puisque les fameuses bouteilles se montrent, bien visibles, sur la plupart des nappes de pique-nique. Car là est l’originalité de la soirée : les spectateurs viennent avant tout partager un moment convivial dans une ambiance festive à laquelle la musique participe. Même dans les coins plus reculés du parc, sans visibilité sur la scène, la musique est retransmise et les dîners vont bon train. L’orchestre qui joue n’interrompt pas les conversations ni les jeux d’enfants. Certains spectateurs prennent un bain de soleil, les yeux fermés, se laissant bercer par les longs éclats de rire des violons de l’été. Au fil de la soirée, de petites bougies chauffe-plat (distribuées par les organisateurs) et des luminions font leur apparition, transformant peu à peu l’ambiance : plus question pour les enfants de courir autour.
Si le parc ouvre dès 17h, la plupart des spectateurs arrivent pour le premier concert, à 19h (cette concentration des arrivées provoquant de longues files d’attente au passage par les stands de sécurité). Alors que le public commence à dîner, les adolescents de l’Orchestre Symphonique Départemental des Jeunes Marnais, en hauts blancs et pantalons noirs, présentent le fruit de leur stage d’une semaine, sous la direction didactique de Yann Molénat : un répertoire éclectique, allant de Verdi et Beethoven à Scorpion et Pink Floyd, en passant par John Williams. La jeune phalange (sonorisée, bien entendu) a déjà beaucoup de musicalité ainsi qu’une certaine fougue, même si elle doit encore perfectionner son exactitude rythmique et sa couleur sonore dans certains passages plus complexes. Elle est rejointe dans l’air de Medora extrait du Corsaire de Verdi par Amandine Ammirati, qui brave le vent et les grands espaces. La voix de la jeune soprano, membre du Studio de l’Opéra de Lyon, a du corps, avec des graves particulièrement riches et un vibrato sobre. Elle soigne son legato et ses nuances, jusque dans un aigu délicatement filé. Lorsque tous ces artistes saluent, certains parents interrompent leur dîner pour agiter des pancartes aux noms de leurs enfants, dans une ambiance joyeuse.
Vient alors le plat principal : le concert de l’Orchestre symphonique de la Garde Républicaine dirigé par Léo Warynski, dont le chœur des Métaboles est accompagné de l’Ensemble lyrique Champagne Ardenne et du Chœur de chambre de Reims Ars Vocalis. 69 musiciens et 76 choristes, rien de moins. La musique bat alors son plein jusqu’à la nuit tombée, emmenant le public dans un tour d’Europe, avec deux escapades en Afghanistan (en hommage aux musiciens qui y risquent leur vie) et vers le Nouveau monde, à travers la Symphonie éponyme de Dvořák.
Le chef dirige ses musiciens le sourire aux lèvres, d’une gestique courte et précise, battant la mesure et donnant les impulsions des deux mains. Le Champagne musical promis par Offenbach n’a certes pas toutes ses bulles, la faute à un tempo un peu lent, malgré les solides prestations des chanteurs des Métaboles qui se détachent pour interpréter les Rois de la Grèce de La Belle Hélène. Mais l’ensemble a l’occasion de montrer son expressivité dans le Chœur des Pèlerins extrait des Lombards de Verdi, sa musicalité dans des pages de Peer Gynt de Grieg et sa puissance dans les Danses polovtsiennes du Prince Igor de Borodine. L’Orchestre montre toute son acuité et sa sensibilité, malgré une sonorisation pas toujours flatteuse (les contrebasses ayant parfois tendance à écraser les autres pupitres). Il dégage beaucoup de poésie dans ses variations de tempi et de nuances. Les trois chœurs parviennent à se fondre dans un son homogène, permettant une bonne compréhension du texte, et une grande richesse de couleurs, apportant beaucoup d’éclat à l’interprétation.
Alors que la lumière tombe et que les estomacs se remplissent, la musique concentre petit à petit toutes les attentions. Jusqu’au feu d’artifice qui éclaire le ciel de notes rouges, dorées et bleues sur un patchwork de musiques enregistrées à la suite de la célèbre 5ème Symphonie de Beethoven. Une fois le bouquet final passé, quand les spectateurs en ont pris plein les oreilles, les yeux et les papilles, une partie du public prolonge la soirée afin d’éviter la grande vague de départs, la tête encore dans les quelques étoiles qui apparaissent entre les nuages.