Opéra de Naples : Carlo Fuortes succède à Stéphane Lissner poussé vers la sortie [mise à jour : mais réintégré]
Le 4 mai dernier, le Conseil des Ministres du gouvernement de Giorgia Meloni adoptait un décret fixant à 70 ans la limite d'âge pour les directeurs étrangers des fondations lyriques et symphoniques en Italie. Pour ses défenseurs, le texte vise simplement à rétablir l'égalité et l'harmonie de traitement avec les citoyens italiens qui doivent quitter leurs fonctions contractuelles publiques à 67 ans, ou 70 ans au maximum pour certains cas particuliers (magistrats, professeurs des universités).
Mais pour beaucoup, cette mesure -d'un gouvernement nationaliste- sans préavis et à effet direct visait particulièrement les deux Surintendants français à la tête des plus prestigieuses institutions lyriques de la péninsule : Dominique Meyer qui dirige La Scala de Milan (il aura 70 ans le 8 août 2025 et ne pourra donc pas postuler pour un second mandat) et surtout Stéphane Lissner qui, ayant soufflé sa 70ème bougie le 23 janvier dernier, a dû quitter sèchement la Direction du San Carlo le mois dernier (son contrat qui devait durer jusqu'en avril 2025, se trouvant de facto rompu).
Ironie de l'histoire, Stéphane Lissner s'était justement porté vers le Teatro San Carlo de Naples alors qu'il était Directeur de l'Opéra national de Paris, car les limites d'âge en France ne permettaient pas de lui proposer un mandat supplémentaire complet (même si l'Hexagone est capable de faire des exceptions). Une fois son successeur parisien trouvé, il lui avait alors été demandé, avec succès (par la Ministre de la Culture d'alors, Roselyne Bachelot), de clarifier la situation en quittant effectivement Paris pour se concentrer sur Naples comme il le faisait déjà. C'est désormais Naples qui l'oblige à partir alors qu'il entendait bien y rester.
Et Stéphane Lissner entend désormais faire valoir ses droits : il a déjà plaidé l'affaire devant le tribunal de Naples, et il compte bien monter jusqu'aux plus hautes instances, "la Consulta" où siège la Cour Constitutionnelle italienne, pour faire valoir l'inconstitutionnalité d'une telle mesure. Il Matino rapporte ainsi les propos suivants de l'ex-Surintendant à l'égard de cette décision : «discriminatorio», «nullo», «illegittimo», «ingiustificato», «inefficace», «arbitrario». Des propos limpides qui n'appellent pas de traduction, et qu'il complète en parlant d'un "authentique acte d'expulsion sur le plan du droit du travail", appelant un "contentieux onéreux" en sus des dommages et intérêts.
La prochaine audience pour Stéphane Lissner et ses trois avocats est prévue le 11 septembre prochain.
[Mise à jour du 12 septembre 2023 : La juge du travail statuant sur cette affaire au tribunal de Naples a validé en référé ce recours de Stéphane Lissner, qui réintègre donc ses fonctions de surintendant et de directeur artistique. Le San Carlo de Naples se retrouve de facto en l'état avec deux hommes à sa tête. Stéphane Lissner, dont la retraite forcée n'aura donc duré que trois mois et onze jours, salue : "Un acte de justice, après des mois passés dans les limbes, que je ne méritais pas mais surtout que le théâtre San Carlo et la ville de Naples ne méritaient pas" comme le rapporte le journal italien Il Mattino. Et le Surintendant français de poursuivre : "Désormais, je suis disponible pour exercer mon rôle aux côtés des personnes extraordinaires qui travaillent dans le théâtre". Reste toutefois à voir comment se décantera cette épineuse situation.]
Autre ironie de l'histoire, les phalanges musicales du San Carlo viennent d'interpréter Otello de Verdi en ce mois de juillet au Festival d'Aix-en-Provence, dont Stéphane Lissner prit la direction en 1998 et dont il dut partir de manière anticipée (en 2006 au lieu de 2009), pour assumer ses nouvelles fonctions d'alors : Surintendant et directeur artistique du Teatro Alla Scala de Milan.
Le successeur de Stéphane Lissner à la tête du Teatro San Carlo de Naples, Carlo Fuortes vient d'être officiellement désigné aujourd'hui mais il est en fait connu depuis des mois : au point que l'article adopté en mai dernier en conseil des ministres avait été surnommé” l’article Fuortes”.
Pourtant Carlo Fuortes a violemment claqué la porte de la Rai (radio et télévision publique italienne) au nez de ce gouvernement : démissionnant le 8 mai de son poste d'administrateur en dénonçant les pressions politiques. Mais Carlo Fuortes ayant précédemment dirigé l'Opéra de Rome (à partir de 2013 et il y avait d'ailleurs été renouvelé jusqu'en 2025, mais en a quitté la Direction en 2021 pour rejoindre la Rai, avec la bénédiction du Premier Ministre d'alors, Mario Draghi), bien des commentateurs voyaient d'emblée la Direction du San Carlo comme une sorte de monnaie d'échange.
Carlo Fuortes aura 70 ans le 5 septembre 2029.
[Mise à jour du 23 mars 2024 : Carlo Fuortes est nommé à la Direction du Teatro del Maggio Musicale Fiorentino - Opéra de Florence]