Netrebko et Eyvazov enflamment Orange
Ils avaient annulé leur venue deux semaines avant et sans donner de motif en 2019, laissant le Festival des Chorégies d'Orange déjà exsangue dans l’embarras. L’incontournable Anna Netrebko et son mari Yusif Eyvazov se sont cette fois bien produits devant un Théâtre Antique plein à craquer, en clôture de cette édition 2023, pour un grand gala Verdi. Un exercice qui rappelle forcément par sa programmation et son dispositif la Nuit Verdienne de trois cadors in loco en 2021, avec Roberto Alagna, Ludovic Tézier et Ildar Abdrazakov. Un récital 2023 dont le contenu sera repris au morceau près (quoiqu'avec un autre Orchestre) lors du Vaduz Classic Festival au mois d’août prochain.
Les deux vedettes retrouvent Michelangelo Mazza, pour ainsi dire leur maestro attitré, qui les a accompagnés régulièrement dans des récitals similaires à Liège ou Baden Baden ou dans des grandes salles comme à Naples ou Madrid. Avant tout à l’écoute des chanteurs, le chef italien déploie une gestique discrète mais efficace qui entraîne à sa suite l'Orchestre Philharmonique de Nice, celui-ci déployant tout au long de la soirée une belle densité et d’intrigantes nuances, notamment sur le ballet de l’acte III d’Otello, seule pièce (seulement) "symphonique" du programme.
Anna Netrebko a évolué depuis ses rôles de soubrette et ses débuts dans La Traviata il y a vingt ans et elle s’est récemment confrontée davantage, et avec grand succès, aux rôles les plus robustes du répertoire verdien. Ce sont donc sans surprise ces œuvres qui sont mises en avant dans le programme de la soirée (Macbeth, La Force du destin, Le Trouvère…). La diva, très théâtrale dans ses passages sur la grande scène du Théâtre Antique, n’hésite pas à s’approprier le décor et le drame, tantôt pour mimer le suicide des amants à la fin d’Aida, tantôt en Lady Macbeth passant impitoyablement l’orchestre en revue.
L’instrument de la soprano russe a gardé de sa lumière et de sa puissance : plein de stature, il enjambe sans peine la fosse et emplit le Théâtre Antique, malgré un léger vent contraire en fin de spectacle. Le vibrato est remarquablement maîtrisé, le médium est on ne peut plus verdien, tandis que des graves faciles, pénétrants, sombres et habités côtoient des aigus acérés et bien placés. La projection ne nuit nullement à l’agilité ni à l’expressivité, subtile et mesurée et particulièrement lors de l’éthéré duo final d’Aida, peut-être le moment le plus applaudi de la soirée.
Yusif Eyvazov a également l’occasion de faire montre de sa projection assurée pendant la soirée, avec notamment un air du duc de Mantoue dans Rigoletto. Sa voix claire et brillante sait se distinguer par son expressivité. Le vibrato important notamment dans l’aigu attendu pour ce répertoire exigeant ne se fait jamais au détriment de la justesse et la complicité avec sa compagne sur Aida et la scène finale de l’acte I du Trouvère transparait avec musicalité.
Aux côtés du couple vedette le public d’Orange retrouve deux autres solistes, qui viennent se greffer à des duos, trios ou quatuors, et chantent un air solo chacun. La mezzo-soprano Elena Zhidkova frappe sur scène par sa posture crispée, immobile les bras croisés, et une projection retenue : malgré une chaleur de timbre prometteuse, elle s’avère presque aussi inaudible en Amnéris qu’en Maddalena, et sa diction tout en staccati (piqués) sur son air (« Stride la vampa » extrait du Trouvère) contraste avec la furie toute verdienne des autres acteurs de la soirée. Au premier rang desquels le baryton azéri Elchin Azizov, compatriote et compagnon de route de Yusif Eyvazov, qui fait montre d’une projection assurée, presque guerrière, sur « Eri tu che macchiavi quell’anima » (extrait d’Un Bal masqué), et dont le timbre sombre complète à merveille ceux plus lumineux d’Anna Netrebko et Yusif Eyvazov le temps de deux duos extraits de La Force du destin et du Trouvère.
Les quatre solistes se retrouvent sur scène pour le très attendu quatuor de Rigoletto « Bella figlia dell’amore », où hélas le relatif déséquilibre entre les quatre voix et quelques menus décalages empêchent d’atteindre les sommets d’expressivité attendus.
Le public, conquis par la diva russe, applaudit chaleureusement les artistes qui, comme à leur habitude donnent en unique bis le « Libiamo » de La Traviata en guise d’adieu pour ce soir, et pour refermer cette édition des Chorégies d'Orange.