Patrimoine et gourmandise, le Festival de Vichy fait valser l’été
Une fois n’est pas coutume, Vichy sabre donc le champagne. Et ce au sein même du parc qui est le berceau de ses fameuses sources ! Mais l’événement vaut bien cette petite infidélité à la boisson locale : il s’agit pour la cité bourbonnaise de fêter le deuxième anniversaire de son inscription à l’Unesco au titre de grande ville d’eau d’Europe aux côtés de dix autres villes thermales du Vieux-Continent. Une liste qui fait voyager de l’Italie à l’Allemagne en passant par la République Tchèque (c’est dire si elle se confond aussi avec un riche patrimoine musical), et qui englobe aussi une cité autrichienne, Baden bei Wien, située en périphérie d’un autre berceau de la musique classique (sinon le principal) : Vienne.
Alors, à l’heure de mettre à l’honneur cette cité avec qui elle partage désormais les honneurs d’une reconnaissance mondiale, Vichy, évidemment, ne peut que lancer une invitation à la valse. C’est chose faite avec un concert venant s’inscrire dans la belle programmation estivale de la maison lyrique locale, riche de spectacles mêlant jazz, musique symphonique, et même théâtre équestre (avec la venue prochaine d’un cheval sur la scène de l’opéra, rien de moins).
Mais pour l’heure, donc, c’est surtout le public qui est invité à lâcher la bride, en se laissant entraîner par une Gourmandise Viennoise convoquant bien sûr le maître de la valse, Johann Strauss II, mais aussi des noms moins connus, mais essentiels dans l’histoire de la danse à trois temps et de l’opérette. C’est le cas d’Emmerich Kálmán, dont l’une plus fameuses œuvres, Princesse Czardas, eut droit au milieu du siècle dernier à ses reprises françaises popularisées par le couple formé par Paulette Merval et Marcel Merkès. Il y a aussi Nico Dostal, auteur d’une vingtaine d’opérettes mais aussi de nombreuses musiques de films aux débuts du cinéma parlant, ou encore Carl Millöcker, autre roi de l’opérette viennoise en son temps, et décédé en 1899... à Baden bei Wien.
Un duo complice rompu à ce répertoire de gala
Du beau monde en somme, et des artistes autrichiens, donc forcément rompus à ce répertoire, pour servir ce programme effectivement bien gourmand. La soprano Nicole Lubinger est la première à se mettre en évidence, avec une voix aux teintes aussi gaies et fleuries que sa robe (aux carreaux Vichy revisités), et un timbre d’une fraîcheur s’accommodant idéalement de ces airs très dansants ici chantés avec bonheur et assurance. D’une belle amplitude sonore (aspect certes ici renforcé par l’usage de micros), et d’une belle souplesse dans le passage des registres, la voix envoûte et ravit en parlant d’amour dans l’air « Ich bin verliebt » du Clivia de Nico Dostal, avant de jouer de couleurs encore plus vives dans l’air « Gruss dich Gott, du liebes Nesterl », issue de l’opérette Wiener Blut (signée du compositeur Adolf Müller à partir du célèbre Sang Viennois de Strauss fils).
La voix de Günter Haumer, autre tête d’affiche de ce jour de fête, participe largement de la qualité du festin. Ce dernier est un habitué des grands rôles du répertoire lyrique (Don Giovanni, Almaviva, Germont), mais c’est aussi un spécialiste de la musique viennoise, ce qui saute aux yeux autant qu’aux oreilles. À chacun de ses airs dont la maîtrise se fait évidente, comme s’ils étaient des hymnes que tout Autrichien se devait de connaître, le baryton donne ainsi un relief physique de circonstance, avec de grands mouvements de bras et presque une manière de sautiller sur scène, mais aussi un joli volume sonore. Lequel s’exprime notamment dans le « Dunkelrote Rosen » issu de l’opérette Gasparone de Carl Millöcker, ou encore dans une page issue d’un autre maître du genre, Franz Lehár, avec ici un extrait de La Veuve Joyeuse. Voix pleine et expressive, souffle, musicalité, et sens de la narration aussi : rien ne manque dans l’exécution de ces deux « tubes » qui ravissent l’auditoire.
Et puisque l’heure est à la fête et aux grands classiques, le programme ne pouvait s’exonérer de quelques fameuses pages chantées à deux. L’une signée Lehár, encore, avec cet incontournable "Lippen schweigen" (Heure exquise), au charme poétique immortalisé par de si célèbres duos, puis le tout aussi enchanteur "Tanzen möcht ich", issu de la Princesse Czardas de Kálmán, Deux airs dans lequel les deux artistes unissent leurs voix, portés par un même entrain et par un même souci de parer la ligne de chant d’un vernis le plus brillant et coloré qui soit.
Un sens de l’esthétisme largement partagé derrière son piano par Laszlo Gyüker, habile accompagnateur mais surtout impeccable homme-orchestre aux doigts bondissants, maître dans l’art de faire siennes les valses et polkas de Strauss II (Roses du Sud, Sang viennois, Annen Polka) qui ravissent la foule. Les uns sifflent ces airs connus, d’autres balancent les pieds, et certains, avant d’aller sabrer le mousseux autrichien, en viennent enfin à embrayer quelques pas de valse. Un plaisir qui, lui, se consomme sans modération.