Jérusalem délivrée, pépite retrouvée
Philippe d’Orléans, neveu de Louis XIV et futur Régent, fut non seulement un mécène d’importance pour les arts, mais également un musicien de talent avéré. Comme le partageait déjà le Centre de musique baroque de Versailles dans son Expodcast n°3, Philippe d’Orléans apprit la composition auprès de Marc-Antoine Charpentier. Parmi les trois œuvres lyriques d’importance qui lui sont attribuées, l’opéra en un prologue et cinq actes La Jérusalem Délivrée ou La Suite d’Armide (créée en 1704 à Fontainebleau) est une pépite que le CMBV et le Centre d’art vocal et de musique ancienne de Namur ramènent ainsi à la lumière de Versailles. Cette œuvre révèle certaines pages véritablement superbes par leur orchestration très bien pensée et quelques harmonies particulièrement avancées – qui pourraient même faire douter de leur véritable paternité. Pour défendre cette tragédie en musique d’exception, il ne faut rien moins que l’excellence d’une distribution prestigieuse et de métier, ici réunie sous les riches ornements du Salon d’Hercule du Château de Versailles.
Dans cet opéra qui est l’une des innombrables mises en musique de La Jérusalem Délivrée du Tasse (et dont vous pouvez retrouver l’argument, avec le Rinaldo d’Haendel par exemple), l’héroïne Armide, puissante reine guerrière, est incarnée par la soprano Véronique Gens avec autorité et émotion retenue. Dans une grande présence, vocale et scénique, elle fait entendre une prononciation attentive et experte du style français avec un timbre brillant porté par un vibrato soutenu. Marie Lys en Herminie se fait captivante captive par sa voix d’une fine rondeur et sa sensibilité. Elle gagne encore au fil de la soirée en présence et en lumière, ajoutant à la souplesse de sa conduite vocale, partageant une touchante plainte lorsqu’elle découvre la mort de Tancrède. Lors de ses interventions en déesse Occasion, en Démon et en Voix de Clorinde, Gwendoline Blondeel fait entendre une fraîcheur de timbre tendre voire angélique avec un soin attentionné à son texte.
En Tissapherne et terrible enchanteur Ismen, David Witczak charme par son timbre, aux graves sombres à propos tout en se montrant capable de médiums et d’aigus solaires et nobles, notamment grâce à une parfaite maîtrise du soutien. Nicholas Scott interprète Adraste, Alcaste et un Vieux Berger avec une appréciable présence. Le français de ce britannique est particulièrement soigné tout comme sa ligne vocale, agrémentée par un timbre clair. Fabien Hyon est un élégant Vaffrin et Guerrier, présent avec justesse. Victor Sicard incarne Tancrède avec un timbre chaleureux, beau et particulièrement noble dans les graves, alliant tendresse et colère. Cyrille Dubois en Renaud manifeste douceur et ardeur avec une aisance et une sensibilité au service du texte que porte son timbre brillant et bien projeté.
Les artistes du Chœur de chambre de Namur montrent les fruits d’un travail préparatoire assuré avec une attention envers la prononciation souvent très appréciable, même lorsqu’ils sont éparpillés aux quatre coins du salon, entourant le public dans une spatialité saisissante. Ils magnifient ainsi des pages déjà particulièrement belles. Sous la direction précise, investie et extrêmement sensible de Leonardo García Alarcón, les musiciens de La Cappella Mediterranea démontrent tout autant d’excellence, avec même une complicité et un plaisir de jouer ensemble évidents. Partageant un même souffle dans des élans énergiques, ils offrent des nuances contrastées et toujours très efficientes.
Offrant en bis le superbe chœur « Pour mieux servir la belle Armide, unissons nos cœurs à jamais », l’ensemble des artistes est longuement applaudi, le public s’étonnant de n’avoir entendu plus tôt une œuvre si bien écrite, et pouvant ainsi s’enorgueillir d’en avoir été l’auditoire privilégié en ce cadre exceptionnel (avant celles et ceux qui en acquerront l'enregistrement à paraître sur le label Château de Versailles Spectacles).