Gloire du baroque français au Festival Musicancy
Donné en plein air dans la magnifique Cour d’honneur du Château d’Ancy-le-Franc, le deuxième concert du Festival Musicancy de cette année est consacré à la musique sacrée de compositeurs ayant été maîtres de chapelle à la Cathédrale Notre-Dame de Paris. Deux grandes œuvres - la Messe Domine salvum fac regem de François Cosset (où le Regina caeli de Jean-François Lalouette remplace le Credo) et la Messe de Requiem d'André Campra - sont accompagnées de motets de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle. Bien que les œuvres aient toutes été produites par des maîtres de chapelle de Notre-Dame, peu d'entre elles ont été composées pour la cathédrale (le bis - Tristis est anima mea de Pierre Robert - faisant figure d’exception). Cela n'est guère surprenant étant donnée la difficulté qu'a eue Campra à convaincre les chanoines de Notre-Dame d'ajouter deux violons au groupe de basse continue lorsqu'il a pris ses fonctions en 1694 : il n'a occupé ce poste que pendant six ans, et le Requiem - comme celui de Verdi - a été écrit après une vie de travail au théâtre.
Les quatorze chanteurs sont la clé du succès de cette soirée : un chœur puissant mais souple, d'où sont issus ponctuellement des solos, exprimant tous des qualités légèrement différentes mais sans vouloir se démarquer, confirmant leur sacerdoce avant tout au service du chœur (par un timbre vocal, une attitude à l'égard du phrasé, de l'articulation et de la dynamique qui vient cependant parfois répondre avec plus ou moins de qualités intrinsèques ou d’imagination à l’égard de la musique interprétée). Dans tous les cas, cependant, l’ornementation est élégante, bien que méticuleusement préparée et au service de l’effet global, magique, que ce soit dans le “quia pius es” feutré qui clôt le Requiem de Campra ou dans son “luceat eis” donnant l'impression qu'une canzonetta italienne a été introduite clandestinement dans la liturgie funéraire française - il s'en est d’ailleurs fallu de peu, et à juste titre, pour que l'auditoire ne s'esclaffe de surprise.
L'orchestration de toutes les œuvres est sobre (cordes, une paire de flûtes et continuo), mais bénéficie de la présence d'un grand groupe de continuo. Les cordes graves à archet (deux violes de gambe, basses de violon et un violone) sont très présentes mais l’auditoire aurait sans doute aimé entendre davantage le théorbe de Thibaut Roussel et l'orgue de Mathieu Valfré, ainsi que le basson de Mélanie Flahaut et le serpent de Patrick Wibart notamment (quelques lignes de basse du continuo sont peu agiles). Les flûtes déploient leur superbe, passant des flûtes traversières aux flûtes à bec, modifiant subtilement les textures à la fois dans les passages en solo et à l'unisson avec les violons. Mais en général, le son se fait doux, l'ensemble souple, et les passages solos joués avec style et élan.
Il reste cependant difficile de comprendre pourquoi les pratiques baroques de direction depuis le clavier (dont sait jouer le chef de ce concert) ou le violon ne sont pas suivies tandis qu’une grande d'attention est apportée à la pratique vocale et instrumentale baroque informée. Les élégantes interprétations de Sébastien Daucé se voient dès lors dominées par des gestes de direction davantage inspirés de Berlioz ou de Wagner plutôt que pour celles d’un maître de chapelle (au programme ici) tel que François Lalouette, ou le plus ancien, Jean Veillot.
À la fin de cette superbe journée d'été dans l'Yonne - malgré les quelques rafales de vent qui ont perturbé les pupitres et l'ensemble - le public de ce concert à guichet fermé se déclare ravi de l'événement, applaudissant et rappelant l'Ensemble Correspondances.