Débuts festifs d'Aida Garifullina à La Grange au Lac
Une des vedettes lyriques de cette édition anniversaire du Festival Rencontres musicales d'Évian qui fête les trois décennies de sa salle boisée de La Grange au Lac, est la soprano russe (et tatare) Aida Garifullina qui se présente en récital. Pour ses débuts à Évian, elle choisit un programme éclectique (opéra, Lied, musique de films) chanté en quatre langues (français, espagnol, russe et italien), et accompagné par le pianiste polonais Maciej Pikulski, un collaborateur régulier de grandes voix d'aujourd'hui.
Aida Garifullina entame le concert avec une nervosité palpable. Son timbre assombri situe sa voix entre les deux registres, avec une largeur vocale lui permettant d'interpréter ce soir des airs de soprano ainsi que ceux écrits pour mezzos. En témoignent l'Habanera de Carmen, tout comme l'Élégie de Massenet (air souvent présent au répertoire des solistes russes, adapté pour Chaliapine) qu'elle interprète avec un phrasé mélodieux et tendre, précis, en rythme et pétri d'émotions. Cependant, elle peine à mesurer la projection de sa voix dans la salle, le volume étant la plupart du temps excessif. Cela nuit évidemment à l'expression musicale qui manque de finesse et de relief. La prononciation du français et de l'espagnol est presqu'entièrement inintelligible, notamment dans les aigus. La chanson "Por una cabeza" est italianisée, et le stress atteint son apogée dans Les Filles de Cadix de Delibes qu'elle décide de reprendre après quelques mesures.
Après l'entracte et dans une nouvelle robe, elle reprend ses forces en attaquant son répertoire de prédilection. L'articulation devient nette, la prononciation du russe impeccable, les passages lissés et le phrasé baignant dans un legato soyeux. Le volume reste alors assez intense, même dans les airs tendres tels que celui de Iolanta (Tchaïkovski). Elle retrouve un juste équilibre dans la Sérénade du même compositeur, entonnée avec souplesse et beaucoup de délicatesse, jonglant entre la douceur de son piano et la vigueur des aigus.
Elle termine la soirée en triomphe avec "Vissi d'arte" et "O mio babbino caro", apportant une pâte dramatique et intensivement expressive.
Le pianiste Maciej Pikulski apporte un soutien solide, assuré et expressif à la soprano. Il se présente également en soliste dans plusieurs pièces, la valse de Chopin (op. 64, n°1) impressionne par la clarté de sa texture, un ton doux et tenu, sans flous de pédale. Il apporte l'étoffe des accords du prélude de Rachmaninov (op. 3 n°2), malgré quelques fautes mineures, avant d'attaquer avec brio la paraphrase de Liszt du quatuor de Rigoletto ("Bella figlia dell'amore") avec une conduite des voix d'exception qu'il démêle facilement de son tissu polyphonique. Les passages virtuoses sont remarqués, en gammes et arpèges, en descentes et ascensions virulentes, en tierces ou chromatiques (par intervalles de trois notes ou d'une touche).
Le concert retransmis et médiatisé s'achève avec deux bis d'airs italiens suivis d'une salve d'applaudissements et de bouquets de fleurs adressés à ces deux interprètes.