Nouveau couple vedette pour Roméo et Juliette à l’Opéra Bastille
Au sein de la nouvelle production du Roméo et Juliette de Gounod à l’Opéra Bastille, Pretty Yende et Francesco Demuro alternent dans les rôles-titres avec Elsa Dreisig et Benjamin Bernheim (notre compte-rendu). Mais en cette soirée du 30 juin, le sort en a décidé autrement, la soprano sud-africaine ayant dû se retirer. Appelée la veille, Amina Edris a accepté de relever fièrement le défi, notamment celui de s’intégrer au sein de la mise en scène foisonnante de Thomas Jolly, ce presque sans préparation. Se montrant un rien réservée au premier acte, avec notamment une Valse un peu timide et pas aussi brillante qu’attendu, Amina Edris retrouve ensuite ses marques pour composer une Juliette troublante et d’une rare justesse. Cette voix de soprano ravissante s’élève dans une sorte de halo de clarté qui confère au personnage de cette jeune fille de caractère à la fois pureté et détermination. La ligne de chant toujours harmonieuse vogue vers les cimes tandis que les aigus s’épanouissent avec délicatesse et une sincérité de ton désarmante. Les vocalises pourraient être un peu plus déliées cependant, mais le charme agit de bout en bout. La grande scène qui voit Juliette avaler le poison révèle ses qualités plus dramatiques et un sens certain du tragique. Le public de l’Opéra Bastille totalement conquis lui réserve une ovation amplement méritée.
À ses côtés, Francesco Demuro se distingue en Roméo par un chant constamment sous tendu par la passion, tonique, plus italien de forme. Par un souffle affirmé et des aigus vaillants, quelque fois un peu poussés ou tirés, il donne une réplique de choix à sa partenaire. Le duo du balcon, puis le duo final qui voit la mort des deux jeunes époux, magnifiquement chantés et interprétés en complète harmonie, constituent indéniablement les clous de la soirée.
Dans le rôle de Mercutio, Florian Sempey succède pour sa part à Huw Montague Rendall. Son chant un peu crispé, un rien abrupt ici, au-delà de sa forte présence scénique, ne reflète pas dans ce rôle le meilleur de sa voix plutôt dramatique de consistance, notamment dans l’interprétation de sa Ballade de la Reine Mab.
Grand succès par ailleurs pour Marina Viotti, Artiste Lyrique aux Victoires de la Musique Classique cette année et qui, avec le personnage du page Stephano (qu'elle reprend à Lea Desandre), effectue ses débuts à l’Opéra national de Paris. Cette voix de mezzo longue et homogène, séduit par sa souplesse et son agilité. Son aisance à se déplacer en scène, à incarner ce personnage plein de morgue et de vivacité, est à souligner.
Le reste de la distribution, qui demeure identique sur toutes les représentations (qui s’étendent jusqu’au 15 juillet) confirme globalement leurs prestations précédentes.
Laurent Naouri campe un Capulet autoritaire, capable de gifler sa fille pour lui faire accepter le mariage avec Pâris, mais le matériaux vocal en cette soirée apparaît un rien fatigué. Sylvie Brunet-Grupposo campe une Gertrude complice et pleine de saveur, utilisant les profondeurs de sa voix chaude avec suavité, tandis que Jean Teitgen en Frère Laurent laisse sa voix de basse investir la salle avec aisance et sincérité. Jérôme Boutillier pour sa part rayonne d’autorité et d’intensité dans le rôle du Duc de Vérone. La qualité de son chant et son legato impressionnent. Les autres protagonistes remplissent leur mission avec musicalité et une implication complète que ce soit le jeune ténor lumineux Thomas Ricart en Benvolio, le Pâris séduisant de Sergio Villegas Galvain, le Tybalt nerveux et fort attachant de Maciej Kwaśnikowski et l’excellent Grégorio du baryton Yiorgo Ioannou.
Thomas Jolly offre une vision fastueuse et presque débridée de Roméo et Juliette, un rien encombrée au premier acte par une multitudes d’intervenants qui ne cessent de remuer et danser alors que la peste rode, plus intimiste heureusement dans le final. Le grand escalier du Palais Garnier devenu mobile et qui occupe toute la scène de la Bastille, les manifestations festives et colorées, le fastueux décorum d’ensemble donnent au spectacle une impression presque démesurée où l’histoire d’amour de Roméo et Juliette peut apparaitre traitée comme en filigrane plutôt qu’en principal.
Le Chœur de l’Opéra national de Paris investit le spectacle avec toute la puissance et la plénitude vocale requise. Carlo Rizzi, placé à la tête de l’Orchestre de l’Opéra, sert la musique de Charles Gounod avec tout le métier accumulé durant sa carrière, de façon nette et précise, à défaut de renouveler l’approche musicale de l’œuvre. De fait, sa direction musicale est en adéquation avec l’approche du metteur en scène.
Les spectateurs de l’Opéra Bastille applaudissent sans réserve cette production qui échappe aux relectures habituelles des classiques du répertoire et qui conclut avec un faste certain la saison lyrique de l’Opéra national de Paris. Pretty Yende devrait être présente pour la série de représentations à venir (et un compte-rendu sur nos pages).