Les Paladins de Rameau remis en selle pour l’Opéra Royal de Versailles
L’opéra de Rameau, Les Paladins, n’a pas rencontré le succès à l’époque de sa création en 1760 (Charles Collé dans le Journal historique égratignait ainsi le livret « cette ineptie ne peut sortir que de la main d’un homme qui n’a pas la première notion de l’art dramatique » sans oublier de dénigrer la partition : « La musique est d’un ennui insoutenable »).
Si le livret n’offre pas un support littéraire notoire, il a cependant inspiré à Rameau une partition réjouissante, une comédie lyrique en trois actes sans prologue où les styles, italien (bouffe) et français (tragédie lyrique) se mêlent au service d’une farce rocambolesque (et où les danses occupent une place de choix). Valentin Tournet et son équipe de Paladins s’emparent de l'œuvre avec sérieux et vivacité, et l’enthousiasme du public confirme que les vents ont tourné, que les temps ont changé.
L’équipe vocale déploie une énergie notable et fait preuve de son expertise stylistique afin de relater le stratagème du Paladin Atis aidé par la fée Manto pour délivrer la jeune Argie des griffes du garde Orcan. Ce dernier est au service du vieil Anselme, le tuteur d’Argie, qui voudrait en faire sa femme.
La soprano Judith van Wanroij en Argie débute l’opéra en se désolant de son sort de prisonnière (« Triste séjour »). Son timbre concentré orné d’un vibrato enveloppant et sa faculté à intensifier son phrasé dans une expressivité touchante colorent sa plainte d’une émotion palpable. La tragédienne fait rapidement place à l’intrigante qui, avec malice, se joue d’Anselme en lui déclarant (dans un style bouffe laissant augurer Rossini) qu’elle accepterait d’être aimée par lui, mais seulement d’un amour paternel.
Sa flamme pour Atis (« Ah, Que j’aimerai mon vainqueur ») se décline dans la simplicité émouvante de notes tenues pianissimo auxquelles ne peut résister Mathias Vidal (Atis). Si le ténor se délecte de cet amour dans une extrême douceur, il aborde cependant son rôle avec une intensité fougueuse à chacune de ses interventions. Son énergie lui permet d’assumer la tessiture élevée du personnage, mais, dans un excès, elle s’accompagne de tension corporelle et d’appuis explosifs altérant l’homogénéité de sa voix et la fluidité du discours musical.
Anne-Catherine Gillet prête sa voix de soprano léger au personnage de Nérine. Son agilité et son aisance dans les aigus en font une joyeuse et pétillante conspiratrice. Cependant, l’énergie déployée pour la manigance s’accompagne d’une agitation permanente des bras et d’un vibrato rapide se confondant parfois avec l’ornementation du chant.
Philippe Estèphe s’amuse à incarner le pleutre Orcan et sa présence comique s’allie à son chant précis et percutant dans un équilibre constant. Amoureux, il émeut dans ses appels déchirants « Nérine !, Nérine ! », puis, passe aussi vite au registre bouffe, la peur des paladins le faisant bégayer (« Je meurs de peur quand j’y pense ») et sourire le public.
La basse Frédéric Caton, semble davantage à son affaire dans la douceur de la plainte d'Anselme (« Mon coeur, tu n'as que peu d'instants »), son phrasé délicat s’alliant à un timbre suave. Il peine à affirmer sa puissance, sa voix restant quelque peu confidentielle notamment dans le grave.
La voix projetée et agile de David Tricou conjuguée à une théâtralité comique rend toute la truculence du rôle travesti de la fée Manto (lunettes de soleil, gants et nœud papillon rose). Personnage baroque aux contours ambigus, il semble tout droit venu de la marche des fiertés ayant lieu à Paris au même moment. N’apparaissant qu’au troisième acte, il capte cependant l’attention et fait sourire l’auditoire lorsqu’il flirte ouvertement avec le vieil Anselme.
Le chœur apparaît dans une synchronisation parfaite et un son brillant, le pupitre des ténors, armés par Anselme, semblant prompt à l’attaque. Sortant du rang, le haute-contre (ténor aigu) Constantin Goubet interprète un paladin d’une voix assurée et résonante.
Le jeune chef d’orchestre Valentin Tournet (également gambiste, nommé parmi les révélations solistes instrumentales aux Victoires de la Musique Classique en 2022) poursuit sa route avec Les Paladins de Rameau après un enregistrement in situ en 2020 pour le label Château de Versailles Spectacles. L’orchestre fourni de La Chapelle Harmonique est enrichi d’instruments à vent (bassons, hautbois et traverso) auxquels s’ajoutent des piccolos, deux cors virtuoses (Simon Poirier et Alessandro Orlando) et une musette. Cette polychromie orchestrale est sertie de nombreuses petites percussions (grelots, castagnettes, chimes, tambour…) qui animent les pages dansantes, une machine à vent et une plaque-tonnerre venant ponctuer la féérie de l'œuvre.
Si la battue rigoureuse de Valentin Tournet s’accompagne parfois d’appuis qui amenuisent l’envol des gavottes et des contredanses, la musique est menée tambour battant dans des enchaînements resserrés tenant l’auditoire en haleine jusqu’à l’étourdissement et aux applaudissements.