Dialogues des Carmélites au message distancié à Liège
Marie Lambert-Le Bihan et ses collaboratrices Cécile Trémolières pour les décors et costumes, Fiammetta Baldiserri pour les lumières, ont choisi de privilégier dans leur approche une relative simplicité et un dépouillement d’ensemble. Le décor est simple avec ses panneaux presque translucides qui laissent deviner les silhouettes et les déplacements.
La mise en scène apparaît de fait minimaliste, mais aussi étrangement encombrée d’idées en décalage avec le récit et la force même de cet opus qui sait pourtant aussi se suffire à lui-même. Ainsi, la première scène de l’ouvrage s’avère fort ambiguë et semble dissimuler comme une relation incestueuse entre le Chevalier de la Force et sa sœur Blanche, son « petit lièvre ».
Puis l’apparition du Chevalier blessé au combat et bien mal en point surprend Blanche lorsqu’il cherche à l’arracher au Carmel. L'ensemble de cette vision (scénique) suscite en outre une série de questions aux spectateurs : sur l’idée d’exposer les maux physiques de Madame de Croissy-La Prieure par des jambes totalement gangrénées alors que la douleur morale et sa peur panique de la mort s’avèrent le réel vecteur essentiel de son agonie délirante.
De même, des paysans et gens du peuple semblent entrer dans le couvent à leur gré malgré la clôture imposée par le Carmel. Par ailleurs, les plus jeunes carmélites apparaissent bien dissipées et enclines au divertissement, signe d’une prochaine libération ou d’une décadence en matière de religion… difficile d’en juger.
Cette approche inhabituelle parvient à distraire de l’essentiel et relègue les sentiments notamment religieux au second plan. Par contre, la scène finale, celle de l’exécution des Dames du Carmel, produit sa forte et profonde impression. Une partie du décor de scène en forme de triangle s’élève vers les cintres pour symboliser le tranchant de la guillotine. Sous cette menace permanente, et une à une, les Carmélites, au bruit du tranchant, s’élancent avec détermination dans la fosse ainsi créée. L’effet est maximal et bouscule légitimement les spectateurs.
Directrice musicale de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège de 2017 à 2022 -elle devait y diriger en majorité le répertoire italien-, Speranza Scappucci s’attaque pour la première fois au chef d’œuvre de Poulenc. Malheureusement, le résultat laisse perplexe. Sa direction musicale force le trait, soit très rapide comme dans la scène d’entrée, soit très bruyante notamment dans les interludes avec une accentuation évidente des dissonances intégrées par le compositeur à sa partition. Quelques libertés expressives affectent aussi, tant la prosodie que le déroulement spirituel qui semble presque disparaître sous le choix d’une efficacité plus strictement dramatique.
Les voix sont couvertes à plusieurs reprises, imposant aux solistes de hausser le ton. Dans la grande scène du Marquis de la Force qui ouvre l’opéra, son interprète, la basse Patrick Bolleire pourtant de métier doit presque s’époumoner pour dominer l’orchestre. Il en va de même du ténor mozartien Bogdan Volkov, Chevalier au français modèle, qui doit se résoudre à gonfler artificiellement sa voix pour l’accompagner. Il apparaitra plus à l’aise et pleinement musicien lors de sa rencontre au Carmel avec Blanche.
Voix au timbre assez dramatique, Alexandra Marcellier aborde le rôle délicat de Blanche de la Force et de l’Agonie du Christ dans une forme de colère permanente, sans les abandons qui ponctuent le rôle et cette clarté de timbre qui doit ici s’imposer. L’aigu s’avère trop souvent tranchant et le personnage dans sa globalité n’émeut pas comme il conviendrait.
Sheva Tehoval, pour sa part, est éloignée de la candeur et de la simplicité qui habite Sœur Constance de Saint-Denis, fille simple de la campagne. La voix se déploie avec insistance et apparaît un peu abrupte dans les aigus.
Julie Boulianne campe une Mère Marie moins intransigeante qu’à l’ordinaire, mais la tessiture tendue et les aigus percutants du rôle lui conviennent parfaitement.
Julie Pasturaud ploie sous le côté presque abyssal du rôle de la Première Prieure (Madame de Croissy), le matériau vocal proposé révélant trop de disparités dans la ligne et de continuité dans les couleurs. Les graves profonds la laissent comme désarmée.
La jeune soprano Claire Antoine, remarquée tout récemment dans le rôle de Lady Clarence d’Henry VIII de Saint-Saëns au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, apparaît comme un baume réparateur dans le rôle de Madame Lidoine, la nouvelle Prieure. Sa voix solide de grand soprano lyrique se coule avec bonheur dans les élans maternels du rôle, livrant par l’élégance de son phrasé, du legato et ses aigus rayonnants de puissance et de clarté, une interprétation qui parvient aisément au cœur.
Coline Dutilleul et Valentine Lemercier abordent les rôles de Sœur Mathilde et Mère Jeanne avec talent et un beau tempérament.
La voix plus confidentielle au timbre très particulier du ténor Trial François Pardailhé se glisse dans les interventions de l’aumônier, tandis que Kamil Ben Hsaïn Lachiri fait preuve d’une juste efficacité dans les rôles du geôlier, de Thierry et du Médecin Monsieur Javelinot.
Les rôles brefs de l’Officier, du Premier et du Second Commissaire sont interprétés par trois chanteurs issus des Chœurs, Marc Tissons, Jonathan Vork et Benoît Delvaux. Les Chœurs justement, dirigés par Denis Segond, sont ici parfaitement à leur place.
Le public liégeois paraît ravi de retrouver Speranza Scappucci et salue le spectacle sans trop de réserves.