Zémire et Azor au Comique, la Belle et la Bête à vrai ou Fau
L’Opéra Comique clôture sa saison avec le rarissime Zémire et Azor d’André-Ernest-Modeste Grétry, qui reprend le conte de La Belle et la Bête en le transposant dans l’univers des mille et une nuits. La partition est légère et vivace, recelant de beaux ensembles et surtout d'airs dignes d’intérêt pour les quatre personnages principaux, chacun dans son registre (virtuose pour Zémire, tragique pour Azor, comique pour Ali et pathétique pour Sander), l'air final d’Azor étant notamment accompagné de très belles lignes mélodiques à l’alto. Le livret de Jean-François Marmontel est versifié avec goût, exaltant la musique des mots, y compris dans les parties théâtrales. Il se tient dans deux lieux entre lesquels l’action alterne : le palais d’Azor et la demeure de Sander.
Le metteur en scène Michel Fau enferme l’intrigue dans un décor unique, trois murs sur lesquels est représenté un jardin à la française pour un huis-clos extérieur figurant la captivité volontaire de la Belle Zémire. Du fond de scène surgit un praticable, tableau magique d’Azor baigné de rouge, où vit Sander et ses filles. Au sein de cette scénographie dépouillée, les surprises se font rares et les excentricités plus encore. La très belle robe de conte de fée que porte Zémire (signée Hubert Barrère) attire d’autant mieux les regards. Azor a quant à lui l’apparence d’un insecte, proche du scarabée, souvent courbé voire prostré et même allongé, bien loin de l’image d’une noblesse enlaidie voulue par le librettiste. La sagesse globale s’applique à la direction d’acteurs, les parties théâtrales souffrant dès lors d’une emphase constante laissant choir les vers rimés dans une monotonie de ton. Michel Fau joue également la Fée, dans un travestissement qui est désormais sa marque de fabrique : sa simple apparition sur scène provoque les rires du public, manifestement attaché à son univers.
Heureusement, la direction musicale de Louis Langrée, à la tête de l’ensemble Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie (la production est menée avec Tourcoing), se montre vive, accentuée et efficace. Ses gestes minimalistes et secs permettent la précision, la subtilité et la légèreté des traits, tout en laissant la place pour de grands élans, plus lyriques.
Zémire est incarnée avec candeur par Julie Roset, soprano à la voix fine et agile et au timbre pourpre, à la ligne précise et ciselée, qu’elle déploie avec musicalité. Ses aigus brillent comme sa robe. Ses graves, plus sourds, ne gênent pas les phrasés grâce à d’habiles changements de registres.
Le rôle d’Azor chanté par Philippe Talbot (qui doit avoir bien chaud dans son costume noir et épais en cette soirée aux températures estivales) a beaucoup de texte : au point qu’une aide lui vient, hélas trop audiblement, depuis les coulisses (où l’assistant à la mise en scène Mohamed El Mazzouji officie comme souffleur) afin de fluidifier ses dernières répliques. Le ténor montre une voix solide, au timbre riche. Il est très attentif à la diction, dont il exagère même parfois l’articulation au point d’altérer son legato.
Le jeune ténor Sahy Ratia montre une grande aisance scénique (jusque dans les roulades par lesquelles il effectue ses entrées sur scène) pour incarner Ali, le serviteur couard et mutin, mais tout de même attachant. Le rôle sollicite beaucoup des médiums bas qui sonnent fermés et gênés par un vibrato trop large, la voix s’épanouissant bien mieux dans l’aigu. En Sander, Marc Mauillon fait étalage de son immense ambitus, dans lequel les aigus sont aussi puissants que les graves sont riches. Il laisse sa théâtralité s’exprimer pleinement dans son chant, dans une nuance forte toutefois trop généralisée.
Séraphine Cotrez en Fatmé dispose d’une voix pulpeuse au timbre chaud dans les médiums, qui se durcit dans l’aigu. Margot Genet en Lisbé expose quant à elle une voix acidulée au vibrato vif.
Alors que l’orchestre interprète la chaconne finale dont la partition n’a été retrouvée que très récemment dans le cadre des recherches effectuées pour cette production, le public applaudit déjà les artistes, et notamment Michel Fau, manifestement apprécié du public de la Salle Favart, et Julie Roset que beaucoup auront découverte ce soir.